Les
Nations : une malédiction ?
Essai de théologie biblique des nations
Jean-Marc Berthoud
Introduction
Dans
le Journal pour les années 1973-1983 du Père Alexandre Schmemann, théologien
orthodoxe russe et Doyen pendant de nombreuses années du Séminaire de
St. Vladimir près de New York, nous trouvons des remarques critiques
adressées par lui à son compatriote Alexandre Soljenitsyne .
Le Père Schmemann s’en prend surtout à l’importance exagérée,
selon lui, qu’Alexandre Soljenitsyne aurait accordé au destin de la
nation russe dans la vision chrétienne de l’histoire et de la
politique qui est la sienne.
«
Pour [Soljenitsyne, écrit Schmemann] il n’y a que la Russie. Pour
moi, la Russie pourrait disparaître, mourir, et rien de fondamental ne
changerait dans ma vision du monde. L’image
de ce monde passe. Cet accent de la foi chrétienne lui est entièrement
étranger » .
Si nous citons ce texte en exergue de notre exposé c’est qu’il est
caractéristique d’une certaine attitude chrétienne qui se voudrait
avant tout « spirituelle » et qui, par ce fait, se permet de
déconsidérer tout ce qui ressort de l’ordre de la création, de
l’ordre de la nature. « La figure de ce monde » (I Cor. 7 :
31) et « sa convoitise aussi » passent en effet, et seul
« celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement »
(I Jean 2 : 17). Mais l’on peut se demander : cette vérité
évangélique veut-elle dire que l’ordre établi par Dieu sur cette
terre est sans importance pour le chrétien, voire sans signification
pour son Créateur, et que ces misérables réalités terrestres
seraient en conséquence privées de tout rapport aux réalités éternelles
? La volonté de Dieu ne doit-elle pas être « faite sur la terre
comme au ciel » (Matt. 7 : 10) ?
Il s’agit en fait chez le doyen Schmemann d’une tentation
spiritualisante de caractère docète. Le docétisme, rappelons-le,
consiste en une négation ou une minimisation de la nature pleinement
humaine de Jésus-Christ et, par conséquent, de notre propre humanité.
Il s’agit d’un refus de la réalité de la création matérielle.
Cette tendance platonisante a longtemps obscurci notre perception chrétienne
de la réalité biblique de l’ordre des nations. C’est cette réalité
créationnelle des nations que nous allons brièvement chercher à évoquer
devant vous ce soir.
Il
y a quelques années, j’ai été conduit à examiner ce que pouvait
nous enseigner la Bible, tant l’Ancien que le Nouveau Testament, sur
les nations. Ce que j’y ai découvert m’a vivement étonné. On peut
résumer les résultats de cette recherche comme suit.
1/
Les mots nation ou nations se
retrouvent souvent dans la Bible, tant dans l’Ancien que dans le
Nouveau Testament.
2/
Le mot grec ou hébreu pour nation est souvent mal traduit ; on lui
substitue, à tort, les termes inadéquats de Gentils ou de païens, termes qui ne rendent pas le sens véritable du mot, lequel
implique toujours le concept de nation. Ceci est dû principalement à une tendance d’une partie importante de
la pensée chrétienne moderne à ignorer les institutions (les formes
substantielles propres à chacune des réalités sociales) dans sa réflexion
sur l’ordre créationnel de Dieu.
3/
Chaque fois que l’on trouve le mot Gentils (ou païens) dans les traductions françaises de la Bible, le mot
original en grec est ethnos (nation) et en hébreu goyim, termes qui signifient tout simplement nations.
Un examen minutieux révèle qu’il n’y a pas d’exception à cette
règle. Le mot traduit par « païens » ou « gentils »
est toujours dans la Bible, soit goyim soit ethnos, et cela sans la
moindre exception .
4/
Au jugement dernier, toutes les
nations seront rassemblées devant le trône de Dieu. L’expression
« toutes les nations » inclut aussi Israël. Il apparaît
ici clairement que le jugement général se fera nation par nation.
L’humanité ne sera pas jugée en tant que masse indéterminée, mais
chaque nation y paraîtra dans sa personnalité propre, comme sous son
drapeau national. Le jugement de Dieu se manifestera sur chaque individu
séparément, mais il sera rendu dans le cadre spécifique propre à
chaque nation.
5/
A travers les élus qui les représentent, tout peuple, tout clan et
toute nation de cette terre feront partie de la nouvelle terre et des
nouveaux cieux. Ces nations seront elles-mêmes guéries des conséquences
du péché au travers des élus adoptés par Dieu du milieu de chacune
d’elles. Finalement, nous découvrons que les richesses des nations
seront elles aussi recueillies dans la nouvelle terre et les nouveaux
cieux.
6/ Enfin, la pensée biblique sur l’ordre créationnel ne
connaît rien du concept d’une société universelle mondiale composée
d’individus pris comme des entités séparées, n'ayant pas de
relations communautaires organiques les uns avec les autres. Un tel
ensemble d’individus constituerait une « communauté
internationale » amorphe, atomisée et anarchique. Cette vision
individualiste et volontariste de la société est un fruit de l’arbre
défendu, un rejet de l’ordre créé par Dieu, une régression vers le
caractère informe et vide de la création au premier jour. C’est
cette idéologie qui sous-tend le mouvement vers l’unification économique,
culturelle, religieuse et politique du monde et qui anime les
institutions internationales telles la Société des Nations et l’Organisation
des Nations Unies .
1. Qu’est donc alors cette théologie biblique des nations ?
Nous lisons au Psaume 86 :
Nul n’est comme toi
parmi les dieux, Seigneur, et rien ne ressemble à tes oeuvres. Toutes
les nations que tu as faites viendront se prosterner devant ta face, Seigneur, et rendre gloire à
ton nom. Car toi, tu es grand et tu opères des miracles ; Toi
seul, tu es Dieu. (Psaume 86 : 8-10)
L’Écriture déclare que les nations ne sont pas des
institutions humaines apparues de manière fortuite, établies suivant
le hasard de l’histoire ou les fantaisies de la volonté changeante
des hommes, mais qu’elles font partie de l’ordre créationnel,
providentiel et rédempteur de Dieu, tout comme la famille et l’Église.
Nous trouvons une affirmation très proche de celle-ci au Psaume 22 :
Toutes les extrémités
de la terre se souviendront de l’Éternel et se tourneront vers lui ; Toutes les
familles des nations se
prosterneront devant sa face. Car le règne est à l'Éternel, il domine
sur les nations. (Psaume 22 : 28-29)
Nous voyons donc que Dieu est le créateur des nations, des
clans et des familles dont se compose l’humanité. L’humanité
n’est pas simplement une multitude amorphe d’individus juxtaposés
arbitrairement les uns à coté des autres, s’unissant et se
disloquant au hasard des événements, mais elle est bien plutôt ordonnée
par Dieu en nations, clans et familles. La famille vient d’abord ;
c'est elle qui est l’institution fondatrice de toutes les sociétés.
Puis la famille se développe en clan .
Celui-ci grandit par alliances ou par conquêtes pour devenir tribu, et
finalement, les alliances de clans et tribus donnent naissance à la
nation. Les empires eux, par contre, proviennent de l’assujettissement
voire de la destruction des nations par une nation ou un groupe de
nations dominantes. Ils peuvent, comme ce fut le cas pour l’Empire
romain ou pour les Empires coloniaux du XIXe siècle, être
utilisés par Dieu pour favoriser la propagation de l’Évangile.
Cette doctrine est reprise et confirmée par le Nouveau
Testament, en particulier par un texte capital de l’apôtre Paul, son
célèbre discours aux philosophes épicuriens et stoïciens sur l’aréopage
à Athènes :
Le
Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve, lui qui est le
Seigneur du ciel et de la terre, n’habite pas dans des temples faits
par la main des hommes ; il n’est pas servi par des mains
humaines, comme s’il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne
à tous la vie, le souffle et toutes choses. Il a fait que toutes les
nations humaines, issues d’un seul (homme) habitent sur toute la face de la terre ;
il a déterminé les temps fixés pour eux et les bornes de leur
demeure, afin qu’ils cherchent Dieu pour le trouver si possible, en tâtonnant.
Or il n’est pas loin de chacun de nous, car en lui nous avons la vie,
le mouvement et l’être.
(Actes
17 : 24-28)
Cet enseignement n’est que l’écho de celui déjà
consigné dans l’Ancien Testament. Nous lisons au livre du Deutéronome :
Souviens-toi des jours
d’autrefois. Considère les années, de génération en génération,
interroge ton père, et il te l’annoncera, tes anciens, et ils te le
diront. Quand
le Très-Haut donna un héritage aux nations, quand il sépara les uns des autres les fils d’Adam, il fixa les
limites des peuples d’après le nombre des fils d’Israël. (Deutéronome 32 :
7)
Examinons plus en détail certaines des leçons que nous
apporte le texte si riche des Actes des Apôtres.
— 1. Dieu a appelé à l’existence tout l’univers par
son fiat créatif.
— 2. Dans le contexte de la création de l’univers, Dieu
a aussi créé des nations, toute une diversité de nations. Cette
multiplicité des nations est le reflet de la diversité interne à
Trinité, un seul Dieu, mais trois Personnes.
— 3. Ces nations ont toutes une origine commune. Toutes les
nations que la terre a connues et connaîtra jamais sont issues d’un
seul sang, d’un seul homme, Adam, d’une seule famille, celle de Noé.
— 4. Et ce n’est pas tout. De la même façon que Dieu
tient dans ses mains notre vie, instant après instant – en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être – ; de
la même façon qu’il maintient constamment toutes choses, tous les
hommes et toutes les sociétés par sa Providence souveraine, –
il donne à tous la vie le souffle et toutes choses – ; de la
même façon, Dieu par son irrésistible Providence dirige la naissance,
la vie et la mort de toutes les nations de la terre. C'est encore lui
qui détermine pour toutes les nations les
temps fixés pour eux et les bornes de leur demeure. Ceci signifie
que les frontières géographiques et les limites historiques de toutes
les nations sont établies, non simplement par les hommes et les
caprices apparemment arbitraires de l’histoire humaine, mais par le décret
de Dieu.
Dieu donc, fait naître et s’agrandir les nations, et
c’est lui qui décide de leur déclin et de leur mort. C’est le
Tout-puissant qui établit les frontières de chaque nation et règle
l’étendue de son territoire. L’existence même d’une nation et
l’emplacement de ses frontières ont un caractère sacré car ils font
en quelque sorte partie de l'ordre créationnel lui-même. La naissance
et la disparition des nations, leur accroissement et leur déclin, sont
ainsi déterminés par Dieu. Mais Dieu se sert de causes secondes,
c'est-à-dire des actes concrets des hommes, pour accomplir ses
desseins. En fin de compte, ce n’est que par le dévoilement des événements
de l’histoire que nous prenons connaissance de l'aboutissement des
desseins secrets de Celui qui est et demeure le Seigneur de toutes les
nations de la terre. Que les ambitions de certaines nations puissent les
pousser à chercher à en détruire d'autres, c’est cependant Dieu
seul qui déterminera la réussite ou l’échec de leurs entreprises.
Que la lâcheté de certains dirigeants les induise à livrer leur
peuple à d’autres pouvoirs, c’est encore Dieu qui décide.
Certaines nations disparaissent, d’autres font leur apparition, et
c’est toujours Dieu lui-même qui décide du temps imparti à chacune
d'elles et qui en tout temps délimite l'étendue de leur territoire. Il
s’ensuit que, comme c'est le cas pour la famille, la nation comme
institution est une réalité établie par Dieu lui-même. Les nations
particulières passent, mais la forme substantielle de la nation demeure
toujours. Elle s’incarne au cours de l’histoire dans les différentes
nations.
Détruire une nation ou un groupe de nations, ne pas défendre
sa propre nation ou la livrer à un autre pouvoir avant le temps fixé
par Dieu pour sa disparition, constituent donc des actes de révolte
contre le Créateur et Souverain des nations. L'ambition des hommes d’établir
un ordre supranational (contre la volonté expresse de Dieu qui veut que
les hommes respectent la diversité de nations sur la terre), soit par
la construction d'empires négateurs des réalités nationales, soit par
l'aliénation irresponsable des droits nationaux souverains, n’est
rien d’autre qu’un acte de rébellion contre Dieu, rébellion qui
ressemble fort à la construction par Nimrod du premier empire mondial
avec sa capitale, Babylone (Genèse 10-11).
Quand et comment les
nations sont-elles apparues ?
Les nations trouvent leur origine lointaine dans les événements
décrits par le récit biblique de la création de nos premiers parents,
Adam et Ève, et au travers d'eux, de l’humanité tout entière. Nous
lisons au premier chapitre de la Bible :
Dieu créa l’homme à
son image : Il le créa à l’image de Dieu, homme et femme Il les
créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : Soyez féconds,
multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Dominez sur les
poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe
sur la terre. (Genèse
1 : 26-28)
Dieu a donc donné à l’homme domination sur la terre entière
pour qu’il la soumette et la cultive. Et pour atteindre ce but qui est
celui de la « civiliser » Dieu a ordonné à l’homme d’être
fécond, de se multiplier, de remplir la terre, afin de la soumettre
pleinement à l'ordre divin, en tant que représentant, administrateur
royal et assistant du Créateur. Une obéissance fidèle à l’ordre de
Dieu de remplir la terre entière et de la soumettre devait à la longue
conduire à la constitution de peuples et de nations nombreuses. Mais il
fallut attendre la survenance d’un événement capital pour permettre
la formation effective des nations : la division par Dieu, à
Babel, du langage des hommes.
Le mandat culturel donné aux hommes à la création fut répété
après le déluge dans pratiquement les mêmes termes :
Dieu bénit Noé, ainsi
que ses fils, et leur dit : Soyez féconds, multipliez-vous et
remplissez la terre. (Genèse
9 : 1)
La mise en pratique de ce commandement divin se trouve à
l’origine de l'apparition des nations telles qu'elles sont décrites
au chapitre dix du livre de la Genèse .
Le mouvement de dispersion devait conduire à la formation des nations.
Il débuta ainsi avant le renversement brutal par Dieu des tendances
centralisatrices et impériales qui ont animé les constructeurs de la
Tour de Babel.
La tentation d’un empire mondial : Babel et la
Bête
Écoutons Vladimir Lénine :
Le but [ou, du moins, l’aboutissement] du socialisme [nous
ajoutons, du libéralisme, en fait de toutes les idéologies] n’est
pas seulement d’abolir la fragmentation de l’humanité en petits États
et de mettre fin à toute distinction entre les nations, pas seulement
de rassembler les nations, mais de réaliser leur fusion.
(Vladimir I. Lenine )
Les deux récits bibliques qui relatent d’une part la
fondation du premier empire, celui de Nimrod (Genèse 10 : 8-12),
et d’autre part la première tentative d’unifier les nations, celle
de la tour de Babel (Genèse 11 : 1-9), sont le prototype d’une
tentation humaine universelle : celle de vouloir organiser la société
indépendamment de Dieu, de l’ordre créationnel et de la loi divine.
Voyons d’abord le récit de la fondation du premier empire par Nimrod.
Kouch
engendra aussi Nimrod ; c’est lui qui, le premier, fut un
vaillant sur la terre. Il fut un vaillant chasseur devant l'Éternel ;
c’est pourquoi l’on dit : comme Nimrod, vaillant chasseur
devant l'Éternel. Il régna d’abord sur Babel, Erek, Akkad et Kalné,
au pays de Chinéar. De ce pays-là sortit Assour ; il bâtit
Ninive, la ville de Rehoboth, Kalah et Résen, la grande ville entre
Ninive et Kalah. (Genèse 10 : 8-12)
Dieu avait exigé de l’humanité qu’elle soit féconde, qu’elle
se multiplie, et qu’elle remplisse la terre. Nimrod, le grand
guerrier et bâtisseur de cités et d’empires, fit exactement le
contraire. Au lieu d’encourager la reproduction de la race humaine et
le peuplement de la terre, il entreprit l’expansion illimitée de son
propre clan, le massacre et la destruction de ses voisins et
l’expansion de sa puissance, ceci en soumettant un vaste territoire au
contrôle de son pouvoir centralisé. A trois reprises, notre texte met
l’accent sur la puissance guerrière et sur le pouvoir physique
impitoyables de Nimrod. Voilà la racine première de cette tentation
qui hante toujours les détenteurs d’un pouvoir qui ne connaît plus
de restrictions : parvenir à exercer une puissance politique et
militaire illimitée ; constituer, par des actions expansives
successives, des empires au caractère universel. Nimrod parvint de manière
remarquable à assouvir ces deux ambitions.
Il fonda d’abord l’empire babylonien dans le sud de la Mésopotamie,
où se trouvait sa première base. Puis il étendit son pouvoir vers le
nord également, où il établit les bases d’un nouvel empire, celui
de l’Assyrie avec sa capitale Ninive. Nimrod ne fût pas seulement un
héros, un grand guerrier et un vaillant chasseur d’hommes devant l'Éternel,
mais il fût aussi le premier grand bâtisseur de villes.
L’épisode de la Tour de Babel n'est rien autre que le récit
plus détaillé d’un aspect particulièrement important de la
construction de l’empire de Nimrod. Pour détruire l’ordre décentralisé
créé par Dieu pour les hommes et établir à sa place une autorité
unificatrice il lui était indispensable de regrouper les populations en
de vastes cités pour mieux les faire travailler et les contrôler. Une
telle ambition, un pareil orgueil, ne peut guère durer longtemps, car
il s’agit d'une rébellion contre l'autorité souveraine de Dieu et,
en particulier, contre le commandement explicite qu'il avait donné aux
hommes de se multiplier et de remplir la terre.
Or,
toute la terre parlait un même langage avec les mêmes mots. Partis de
l’orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Chinéar, et ils y
habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : Allons !
faisons des briques et cuisons-les au feu. La brique leur servit de
pierre, et le bitume leur servit de mortier. Ils dirent (encore) :
Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet
(touche) au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas
disséminés à la surface de toute la terre. L’Éternel descendit
pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. L’Éternel
dit : Voilà un seul peuple ! Ils parlent tous un même
langage, et voilà ce qu’ils ont entrepris de faire ! Maintenant
il n’y aurait plus d’obstacle à ce qu’ils auraient décidé de
faire. Allons ! descendons : et là, confondons leur langage,
afin qu’ils n’entendent plus le langage les uns des autres. L’Éternel
les dissémina loin de là sur toute la surface de la terre ; et
ils cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom
de Babel, car c’est là que l’Éternel confondit le langage de toute
la terre, et c’est de là que l'Éternel les dissémina sur toute la
surface de la terre. (Genèse
11 : 1-9)
L’unité de langue et de but avait permis aux hommes de Babel, apparemment sous le
commandement de Nimrod, non seulement d’établir le premier empire
mondial, ceci aux dépens de la diversification des nations ordonnée
par Dieu, mais surtout d'arrêter le mouvement, lui aussi voulu par Dieu
et qui avait été amorcé après le déluge, d’expansion et de
diffusion des populations sur toute la surface de la terre.
Par contre, la construction d’une tour qui touche
au ciel fut une entreprise à caractère religieux. Cette tour
devait servir de point central, tant sur le plan idéologique que géographique.
Elle devait atteindre un double objectif : atteindre le ciel –
c’est-à-dire Dieu – par ses propres moyens ; et se faire un
nom, une réputation, une gloire tout humaine.
Après le déluge, Dieu avait promis à Noé de ne plus
jamais détruire par les eaux la totalité de la race humaine. Pour
confondre l’arrogance de ceux qui travaillaient à l’élévation de
leur tour dans la prétention d’atteindre le ciel, Dieu décida de
diviser leur langage, de diversifier leurs langues de façon à ce
qu’ils ne se comprennent plus et qu’ils ne puissent plus travailler
ensemble à cette entreprise impie et rebelle. L’élément final, et
le plus efficace pour conduire à la constitution des nations – la
diversité des langues – cet élément qui obligera les hommes à
se disséminer sur toute la surface de la terre, provient ainsi d'une
action directe de Dieu intervenue de nombreux siècles après l'établissement
de l'ordre créationnel. Grâce à cette diversification des langues –
jugement de Dieu à la fois punitif et protecteur – le rassemblement
durable des hommes en un seul empire devint impossible. Par ce moyen
radical, Dieu assura l’exécution de sa volonté d'instituer, d'abord
dans l'espace, puis au cours des siècles, de nombreuses nations, fixant
lui-même, selon son décret éternel, le temps de leur existence ainsi
que les frontières dans lesquelles il les contenait lui-même.
Le nom que les gens de Chinéar donnèrent à leur ville,
Babel, fut le même que celui des grandes tours qu’ils aimaient
construire, les ziggourats, ces portes
du dieu ou du ciel. Mais
l’Écriture nous dit que la signification véritable du mot « Babel »
est celui de confusion. Car à
Babel Dieu a confondu non seulement la langue des hommes mais également
leurs desseins contre lui. Cette diversité des langues, née de
l’intervention directe de Dieu, devrait continuellement rappeler aux
hommes la folie que constitue la volonté d’unifier toute l’humanité
en une seule masse sans tenir compte, ni du Créateur, ni de ses Lois,
ni de l’ordre établi par lui dans la création elle-même. Mais il y
plus que cela. La séparation des langues a assuré la diversité des
nations sur la terre, ceci en vue de leur entière récupération lors
de la rédemption finale de toutes choses par Jésus-Christ. C’est
ainsi que Dieu transforme le mal en bien. Il utilise la révolte des
hommes pour l’accomplissement de ses desseins et pour le bien éternel
de la race humaine. Ce jugement de Dieu sur le mal – la volonté
unificatrice des hommes et le refus concret de soumission à l’ordre
créationnel que cela implique – fut transformé, par l’action mystérieuse
de la Providence divine, en un bien plus grand.
C’est
pourquoi on l’appela du nom de Babel, car c’est là que l'Éternel
confondit le langage de toute la terre, et c’est de là que l'Éternel
les dissémina sur toute la surface de la terre. (Genèse 11 : 9)
Au cours de l’histoire, bien des hommes et de nombreuses
nations ont succombé à la tentation de Babel, au désir d’une unité
humaine dans un empire à caractère universel, un ordre politique et
religieux qui serait véritablement oecuménique, qui couvrirait la terre tout entière. Cette réalité historique récurrente est
un thème permanent de l’Écriture et de l’histoire.
Cette ambition impériale constante des rois de la terre
contre Dieu et contre sa Loi, ces projets de détruire, par conquête ou
par tromperie, l’indépendance divinement établie des nations, cette
révolte politique contre l’ordre créé a reçu un nom dans la Bible :
celui de « Bête ». L’Écriture nous présente une variété de ces bêtes politiques (il
s’agit des prototypes historiques du Léviathan de Hobbes) :
l’Égypte des Pharaons ; l’Assyrie avec sa capitale, Ninive ;
les Chaldéens et leur grande ville, Babylone ; la Grèce
d'Alexandre le Grand ; Rome et son empire mondial irrésistible.
Les livres de Daniel et de l’Apocalypse nous donnent maintes précisions
sur ces réalités politiques. La venue du Roi des nations, le Seigneur
Jésus-Christ, n’a pas mis un terme à la faim qu’ont les hommes de
vouloir être les maîtres absolus du monde .
Mais ces ambitions de construction impériale sont à la
longue irrémédiablement vouées à l’échec. Elles ne peuvent résister
aux ravages du temps, car elles sont bâties sur le sable de la révolte
de l’homme contre son Créateur. C'est ce que le deuxième Psaume
exprime lorsqu’il exalte le Roi des rois des nations de la terre,
notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ :
Demande-moi et je te
donnerai les
nations pour héritage, et pour
possession les extrémités de la terre ; tu les briseras avec un
sceptre de fer. Comme le vase d’un potier, tu les mettras en pièces.
Et maintenant, rois, ayez du discernement ! Recevez instruction,
juges de la terre ! Servez l'Éternel avec crainte, soyez dans
l’allégresse, en tremblant. Embrasse le fils, de peur qu’il ne se
mette en colère et que vous ne périssiez dans votre voie, car sa colère
est prompte à s’enflammer. Heureux tous ceux qui se réfugient en lui ! (Psaume 2 : 8-12)
Et nous lisons au chapitre dix-neuf du livre de l’Apocalypse
les paroles suivantes décrivant le sort de cette Bête, de ce terrible
empire mondial face auquel personne semblait ne pouvoir tenir :
Je
vis la bête, les rois de la terre et leurs armées, rassemblés pour
faire la guerre à celui qui monte le cheval et à son armée. Et la bête
fut prise, et avec elle le faux prophète qui avait opéré devant elle
les signes par lesquels il avait séduit ceux qui avaient reçu la
marque de la bête et qui se prosternaient devant son image. Tous deux
furent jetés vivants dans l’étang de feu où brûle le soufre.
(Apocalypse 19 : 19-20)
Ainsi
à la fin la Bête, c'est-à-dire tous les empires universels, seront de
manière définitive et irrémédiable, anéantis. Mais ces trois ordres
créationnels demeurent, l’Église, la famille et la nation. Ils
persisteront jusque dans la vie à venir et nous les retrouverons tous
dans la Jérusalem céleste.
La persistance dans la Nouvelle Alliance de l’ordre
bienfaisant des nations est confirmée par le miracle extraordinaire de
la Pentecôte qui vit l'abolition, non pas des diverses langues humaines
au profit d'une espèce d'esperanto divin, mais de l'incompréhension entre les hommes due à l'effet
diviseur du péché sur la diversité des langues. Cet événement, où
se manifeste une unité de compréhension dans la diversité de langues,
est le véritable modèle du dépassement de la division de à Babel.
Ce que Christ est venu abolir, ce n’est pas l’ordre créé,
avec ses nations diverses, mais c’est les oeuvres du diviseur, du
diable. L’opposition fondamentale a depuis toujours été celle entre
deux royaumes spirituels ; celui de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ
et celui de Satan. Il s’agit d’un conflit entre la lumière et les ténèbres
à l'intérieur de toute nation où l’Évangile a été efficacement
prêché. Depuis la Pentecôte, l’Église est devenue la lumière de
chaque nation, le sel qui redonne son goût à chaque peuple. Mais il
viendra un temps, nous dit l’Écriture, où le monde entier, c'est-à-dire
l’élément dominant dans chaque nation, se retournera contre la présence
en son sein de l'Église, du témoignage vivant de la foi chrétienne véritable :
Alors on vous livrera
aux tourments, et l’on vous fera mourir, et vous serez haïs de toutes
les nations, à cause de mon nom. (Matthieu 24 : 9)
La véritable unité politique internationale est d’une
tout autre nature que celle constituée par cette masse confuse de
nations qu'est promise à devenir l'Organisation des Nations Unies. La véritable
unité respecte l’ordre créationnel (dans ce cas l’existence
d’une grande diversité de nations) et trouve son lien commun, non
dans les idéologies humaines, mais dans le respect de la Parole de
Dieu, de ses commandements.
Ce qui s’est passé ce jour-là à Jérusalem n’a été
en aucun cas l’abolition de la diversité des langues et, par elle, de
la diversité des nations qu’elle garantit. Dieu révèle son dessein
de sauver ses élus, non plus choisis presque exclusivement au sein de
la nation Israélite, mais de les tirer de toutes les nations de la
terre. En s'exprimant dans ces différentes langues à la Pentecôte, le
Saint-Esprit montre clairement qu’elles sont maintenant toutes intégrées
dans la rédemption des nations elles-mêmes. Il ne sauve pas les hommes
en les sortant de leur nation
et de leur langue pour les mettre dans le royaume de Dieu, mais il les
sauve en et à travers leur nation et leur langue particulières.
Car le dessein de Dieu n’est pas de détruire l’ancienne
création pour la remplacer par une terre et des cieux entièrement
nouveaux. Son but final, à travers sa révélation, le destin d'Israël,
l’Incarnation de son Fils et l’établissement de l'Église, est le
renouvellement de toutes choses.
L'homme et la nature ne sont pas les seuls à attendre avec
impatience la manifestation de leur espérance, ce renouvellement dont
parle Paul. Les nations elles-mêmes – en tant que créatures de Dieu
– attendent elles aussi le renouvellement de leur être. Car Dieu
n’a pas l’intention d’abolir les nations, mais il veut leur
restauration complète, leur rédemption. Ce qui est détruit par la
croix de Christ, par notre mort et par le jugement final des impies, ce
n’est pas la créature – faite entièrement bonne à l'origine par
Dieu – mais tout ce qui la corrompt et la dénature, tout ce qui
en elle déplaît au Dieu Saint. Au jugement dernier, la création de
Dieu ne disparaîtra pas mais elle sera purifiée et renouvelée dans
tous ses aspects. Comme l’exprime si bien le souhait de l’apôtre
Paul :
[…] que ce qui est
mortel soit absorbé par la vie. (2 Corinthiens 5 : 4)
Ce renouvellement final de toutes choses est le thème
magnifique et glorieux des derniers chapitres du livre de
l’Apocalypse. Écoutons quelques versets tirés des chapitres 21 et 22 :
La ville n’a besoin
ni du soleil ni de la lune pour y briller, car la gloire de Dieu l’éclaire,
et l’Agneau est son flambeau. Les nations marcheront à sa lumière,
et les rois de la terre y apporteront leur gloire. Ses portes ne se
fermeront point pendant le jour, car là il n’y aura pas de nuit. On y
apportera la gloire et l’honneur des nations. Il n’y entrera rien de
souillé, ni personne qui se livre à l’abomination et au mensonge,
mais ceux-là seuls qui sont inscrits dans le livre de vie de
l’Agneau. Il me montra le fleuve d’eau de la vie, limpide comme du
cristal, qui sortait du trône de Dieu et de l’Agneau. Au milieu de la
place de la ville et sur les deux bords du fleuve, se trouve l’arbre
de vie, qui produit douze récoltes et donne son fruit chaque mois. Les
feuilles de l’arbre servent à la guérison des nations. (Apocalypse 21 : 1-2, 22-27, 22 : 1-2)
Ce texte nous apprend des choses tout à fait
extraordinaires.
— Premièrement, au-travers de la rédemption des élus,
les nations sont intégrées dans la nouvelle terre et dans les nouveaux
cieux.
— Deuxièmement, on apprend que ces nations sont guéries
en la personne des élus adoptés par Dieu du milieu de chacune
d’elles (Ap. 7 : 9-10).
—
Finalement, nous voyons que les richesses des nations seront recueillies
dans la nouvelle terre et les nouveaux cieux.
Ainsi
tout ce que les hommes ont fait pour la gloire de Dieu, tout ce qu’ils
ont chéri et choyé en l’honneur de Dieu et qui est nettoyé, libéré
de toute trace de péché et de corruption par l’œuvre rédemptrice
de Celui qui porte les péchés du monde, trouvera sa place dans le
Royaume des Cieux. Tout ce qui a été fait par l’homme selon
l’ordre de la création et qui honore Dieu sera sauvegardé. On y
trouvera les accomplissements humains dans tous les domaines, rachetés
en Jésus-Christ par sa croix et sa résurrection et sanctifiés par sa
Parole recréatrice. La musique et les arts, les sciences et les
techniques, la littérature et l’histoire, toutes les sortes
d’artisanat, les différents métiers et toutes les tâches les plus
humbles fidèlement accomplies, le sachant ou non, en l’honneur de Jésus-Christ,
tout cela trouvera sa place dans la nouvelle terre, dans les nouveaux
cieux. Ainsi, le salut concerne chaque aspect de nos vies et c’est là
notre vocation que de vivre toute circonstance donnée par la providence
divine à la gloire du Dieu Unique, Père, Fils et Saint-Esprit :
Soit
donc que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire
de Dieu. (I Corinthiens 10 : 31)
Écoutez
l’écho céleste de cette obéissance ici-bas :
J’entendis
du ciel une voix qui disait : Écris : Heureux les morts qui
meurent dans le Seigneur, dès à présent ! Oui, dit l’Esprit,
afin qu’ils se reposent de leurs travaux, car leurs oeuvres les
suivent. (Apocalypse 14 : 12-13)
Conclusion
Nous terminons, comme nous avons commencé, avec Alexandre
Soljenitsyne, romancier et penseur politique dont la pensée se fonde
sur l’amour de la création divine et la haine farouche de toute
utopie babélienne – utopie mortelle dont sa patrie a si profondément
senti la morsure. Contre tous les spiritualismes pseudo-chrétiens qui font la guerre à l’ordre de la nature et aux richesses de la création
divine au nom de la pureté spirituelle, contre toutes les utopies
politiques si meurtrières du monde moderne – dont l’utopie
onusienne que nous combattons ensemble ce soir – qui cherchent à anéantir
la diversité et les richesses des nations, ce romancier théologiquement
plus lucide que les docteurs de son Église, affirme avec une
clairvoyance que nous devons faire nôtre :
« La disparition des nations ne nous appauvrirait pas
moins que si tous les hommes avaient été créés pareils, avec un seul
caractère, un seul visage. Les nations sont la richesse du monde, elles
en sont les personnalités généralisées ; la plus petite
d’entre-elle a ses couleurs particulières, et incarne une facette
particulière du projet de Dieu . »
Que Dieu nous donne la force de résister au courant babélo-onusien
qui cherche à nous faire abandonner l’héritage de la nation que Dieu
nous a confiée pour que longtemps encore nous puissions l’y glorifier
et y vivre en paix.
Jean-Marc Berthoud,
Le 19 janvier 2002.
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