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Le nudisme libre et les fondements du droit

Jean-Marc BERTHOUD

 

Déclaration de l'Association Vaudoise de Parents Chrétiens après la décision de la Cour de Cassation du Canton de Vaud autorisant le nudisme sur les plages publiques du canton et établissant l'alignement des lois sur les mœurs en principe de jurisprudence.

Mais quand, malgré tous les efforts de l'exégèse, il devient certain qu'un texte légal ou une sentence heurtent un axiome du Droit naturel, sans avoir de fondement dans un autre axiome limitant le premier, cet acte du Pouvoir est vide d'autorité juridique, il usurpe le nom de la loi et du jugement.

C'est ainsi que le Droit naturel forme le noyau de toute loi positive. C'est ainsi que le Droit naturel et le Droit positif se compénétrent au point qu'on ne peut se les représenter séparés : à eux seuls isolés les uns des autres, les axiomes de Droit naturel seraient sans vie et comme stériles, et la loi positive, si on la prive de sa raison éthique, ne mérite plus le nom de Droit.

François Guisan1

Introduction

Nos législateurs et nos juges, ayant abandonné toute référence à une loi naturelle placée au-dessus des lois positives, à une loi divine transcendante et souveraine normative des lois humaines, en sont arrivés à vouloir légitimer toute action qu'ils considèrent comme conforme à l'évolution des moeurs. Par cette orientation donnée à la législation et à la jurisprudence de notre pays, nos magistrats ne font qu'imiter l'exemple malheureux de la république de Weimar. En effet, force nous est de constater que notre situation juridique actuelle commence étrangement à ressembler à celle définie par la décision de la Cour Suprême du Reich dans sa déclaration du 4 novembre 1927 :

Le législateur détient une autorité absolue qui n'est limitée par aucune borne si ce n'est celle établie par lui-même tant dans la Constitution que par d'autres lois2.

Le nazisme fut une conséquence évidente d'une telle absolutisation de l'état de droit. Dans cette perspective, les lois étant modifiables selon la volonté du souverain et ce souverain étant lui-même uniquement tributaire de l'opinion dominante du moment, il s'ensuit que l'on peut théoriquement rendre légal n'importe quelle action inique. Héritiers d'un tel système légal les nazis sont devenus les détenteurs d'un pouvoir absolu, sans limite autre que leur propre volonté ; et ce pouvoir, ils l'ont librement exercé de la manière que l'on sait. Sans la reconnaissance explicite et constante de la Loi de Dieu, rappelant aux hommes les fondements inamovibles de la justice, nos législateurs et nos juges sont abandonnés à l'absolutisation néfaste de l'état de droit et à la divinisation de la volonté populaire. C'est ainsi que l'Allemagne s'est, dès la fin du XIXe siècle, engagée juridiquement sur cette pente dangereuse qui a permis aux criminels nazis de fonder leurs actes abominables sur une légitimité juridique formelle3. Telle est la pente malheureuse que semblent vouloir épouser nos magistrats.

 

La légalisation du nudisme public par le Tribunal cantonal vaudois

Dans la Tribune du Dimanche du 23 mars 1980 nous lisons :

La Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois, dans un arrêt qui vient d'être communiqué aux parties, affirme en effet que le droit de s'exposer au soleil et de se baigner entièrement nu sur une plage publique, en présence notamment d'enfants de moins de 16 ans, ne constitue ni un outrage public à la pudeur (réprimé par l'article 203 de Code pénal), ni un attentat à la pudeur d'enfants (article 191), contrevenant à ce qu'avait prétendu, dans un jugement d'octobre 1979, le Tribunal de police du district de Lausanne. (…)

La nudité dévoilée n'est plus un crime, elle n'est plus nécessairement impudique. Les juges du Tribunal cantonal – MM. Vautier, Gilliéron et Junod (devenu depuis juge fédéral) – l'expliquent par l'évolution des moeurs.

Pour le Tribunal cantonal, l'évolution des moeurs – laissée à l'appréciation subjective arbitraire des juges, qui, en fait s'arrogent ainsi l'autorité suprême4 – devient la norme du droit. N'est-ce pas là tout simplement l'abandon par le Magistrat lui-même de la justice à l'arbitraire mouvant des moeurs ? Le Tribunal précisait :

Est contraire à la pudeur, indique la jurisprudence du Tribunal fédéral, tout acte qui blesse la décence sexuelle d'une manière non insignifiante et heurte ainsi de façon inadmissible le sens moral d'un homme doué d'une sensibilité normale.

Quel sera, pouvons-nous demander, le critère objectif nécessaire à la définition du sens moral d'un homme doué d'une sensibilité normale ? Sera-ce, ce qui depuis plus d'un millénaire a été le fondement moral de nos lois, la Loi de Dieu, ou bien sera-ce l'état changeant des moeurs, comme le prétendent aujourd'hui nos Juges cantonaux ?

Le Tribunal cantonal, pour sa part, serait favorable à un droit fondé sur des appréciations purement subjectives. Ce qui, si cette tendance devait se confirmer, serait plus grave encore car des appréciations d'intentions deviendraient le critère du Tribunal pour définir la nature licite ou illicite de certains actes publics. Citons encore la Tribune :

Mais l'exhibition des fesses en public ou devant des enfants – précise le Tribunal cantonal – si elle peut blesser la décence ou les convenances, n'est pas visée comme telle par les dispositions du Code pénal réprimant les infractions contre les moeurs. En revanche, l'exposition d'une partie du corps, ne présentant normalement aucun caractère sexuel mais qui demeure le plus souvent caché, et dont l'exposition blesse le sentiment général de la décence et des bonnes moeurs, peut être taxé de subjectivement impudique si, dans l'intention de l'auteur elle comporte une référence sexuelle évidente ou qu'elle se rapporte sans équivoque à un comportement dérivant de l'activité sexuelle.

Ainsi, selon cette décision du Tribunal cantonal, se mettre tout nu en public, montrer devant petits et grands ses organes sexuels, est licite pour autant que l'on n'ait pas subjectivement l'intention d'attribuer une quelconque référence sexuelle à l'exhibition de ses organes sexuels ! Il y a ici passage de l'acte criminel à l'intention délictueuse qui nous paraît bien dangereux juridiquement. Jusqu'à nouvel avis nos tribunaux jugent des actes délictueux et non des intentions délictueuses, laissant de tels procès d'intention aux moeurs dictatoriales des régimes totalitaires où règne l'arbitraire juridique. Il ne serait guère souhaitable que la jurisprudence des tribunaux de notre pays suive un chemin semblable.

 

Évolution des moeurs et son évaluation

La chronique judiciaire de la Gazette de Lausanne des 22-23 mars dernier relate les circonstances d'un viol particulièrement odieux dont a été victime une jeune fille vêtue de manière tout-à-fait décente. Le responsable de cet acte, C., est un ouvrier agricole marié, décrit devant le tribunal comme étant de caractère calme, travailleur, d'esprit correct, observant une morale stricte (…) et qui ne touchait jamais aux femmes. Voici ce que rapporte le médecin chargé de l'expertise psychiatrique de l'accusé :

Décontenancé, voir dérouté par certaines rencontres faites dans les champs – des jeunes filles complètement nues qu'il surprend malgré lui en train de bronzer sur les terres de son patron – C. n'arrive pas à concevoir une appréhension de la sexualité différente de la sienne, encadrée dans des règles rigides. Ses mécanismes de contrôle sont érodés peu à peu par ces rencontres inopinées. Ses pulsions sexuelles, qu'il contrôlait sans problème, éclatent un jour devant une jeune fille habillée, qui n'exprime rien de provocant.

Si nous ne désirons pas voir notre pays sombrer encore davantage dans la désintégration morale et sexuelle, il nous faut prendre garde à préserver notre population de l'extension d'une pareille exhibition sexuelle publique.

Le 27 décembre 1979, écrivant à la Nouvelle Revue de Lausanne au sujet du cas de nudisme sur la plage de Vidy, qui a conduit la Cour de cassation du Canton de Vaud à prendre la décision permissive que nous examinons, le Docteur Philippe Rey de Vallorbe faisait les remarques suivantes :

Plutôt qu'un souci de naturalisme ou d'écologie, je vois dans cette attitude une provocation conforme à leur souci de non-conformisme et une façon infantile de contestation systématique. (…)

Pour moi, je considère que cette libération des moeurs fait partie du complexe qui conduit à une désinvolture coupable (d'où le snobisme n'est pas exclu) pour tout ce qui touche au sexe. C'est la voie la plus sûre vers la destruction de tout ce qu'il y a de sentimental dans l'amour (…) En cette matière, le non-conformisme et le snobisme invitent la "jeunesse" à faire l'amour comme ils font pipi.

Et puis, on s'étonne d'apprendre que, pas loin de chez soi, il est né un enfant dont les parents ne font pas 25 ans à eux deux.

Une jeune élève de l'École ménagère (14-15 ans) m'a révélé que ses quinze compagnes avaient toutes déjà couché avec un garçon. Une mère me téléphone pour me demander quelle pilule je recommanderais à sa fille qui va vers ses quinze ans.

Peut-on alors s'étonner des remarques de Mme Élisabeth Blunschy-Steiner, conseillère nationale, au Quatrième Congrès de la Fondation internationale de la Famille tenu à Zurich en novembre dernier qui révélait :

Le nombre croissant de couples vivant en concubinage dans notre pays et l'augmentation des divorces faisant chaque année de 10.000 enfants en bas âge des orphelins sociaux5.

A-t-on tout bonnement oublié que les enfants pour croître sainement ont besoin de leurs deux parents ? Les parents ne savent-ils pas qu'ils n'ont pas uniquement une responsabilité envers eux-mêmes pour s'offrir le plus de loisirs possibles dans cette vie fugace, mais qu'ils ont aussi des responsabilités envers leurs propres enfants ! Jusques à quand nos magistrats, se laissant entraîner par l'évolution des moeurs – ou ce qu'ils en pensent –, considéreront-ils qu'ils n'ont pas de plus haut devoir que d'entériner et de précipiter la déchéance et la décomposition de notre peuple ?

 

Retour nécessaire à la Loi divine

Certes M. le Conseiller d'État J.-F. Leuba a raison d'écrire :

Chargé de permettre l'épanouissement du bien commun, (l'État est) incapable par lui-même de satisfaire les besoins spirituels.

Nous pouvons pousser la réflexion plus loin et nous demander : l'État est-il en soi capable, en fin de compte, de définir seul le bien commun dont il a charge de permettre l'épanouissement ? Le professeur Pierre Chaunu n'affirme-t-il pas justement de son côté :

(…) l'impossibilité pour la société d'assumer le discours sur le sens6.

et la conséquente nécessité d'une Révélation du sens et d'un enseignement normatif provenant d'un pouvoir spirituel chargé de communiquer aux hommes, (et notamment aux magistrats), le discours de Dieu sur le sens de leur vie, sur le sens véritable du bien commun ? Ces paroles de Pierre Viret, écrites il y a maintenant plus de quatre siècles, ne sont-elles pas toujours d'une pleine actualité :

Pour cette cause, Il (Dieu) a voulu donner loi lui-même qui puisse servir de règle à tous les hommes de la terre, pour régler l'esprit, l'entendement, la volonté et les affections tant de ceux qui doivent gouverner les autres, que de ceux qui doivent être gouvernés.

Il ajoutait :

Si cela y est, alors il n'y a ni monarchie, ni aristocratie, ni démocratie, ni forme de gouvernement quelconque, ayant fondement en cette loi de Dieu, qui ne soit convenable à la société humaine et à toutes Républiques, auxquelles Dieu présidera. Au contraire, si cela n'y est, il ne faut attendre rien d'autre qu'une horrible confusion, dissipation, désolation et ruine extrême de tous empires, royaumes, pays, communautés, peuples et nations et toutes leurs Républiques7.

C'est pour cela qu'une société, pour demeurer saine, a grand besoin d'une Église vivante, sanctifiée et forte parce que fondée sur la crainte de Dieu et l'obéissance à sa Parole. Elle sera ainsi capable de proclamer, tant pour elle-même que pour les pouvoirs publics sous l'autorité desquels elle vit, les normes immuables qui doivent fonder les lois publiques et la jurisprudence. Ces normes sont définies par la Révélation de Dieu et inscrites par Lui dans la nature des hommes et de leurs sociétés8. Qu'attendent donc nos Églises officielles, si récemment encore confirmées dans l'estime de notre population, pour accomplir auprès du peuple et des autorités de notre pays, cette tâche si nécessaire ?

Qu'attendent donc les Églises pour rappeler à notre pays tout entier l'enseignement de vie de la Parole de Dieu ? N'est-ce pas le sens à donner aux paroles du pasteur Jean-Daniel Chappuis dans l'exhortation du Conseil Synodal de l'Église Évangélique Réformée du Canton de Vaud après le rejet massif dans une votation récente du référendum sur la séparation complète de l'Église et de l'État :

C'est ainsi enfin que l'ampleur du refus qui a été apporté le 2 mars ne peut que se traduire dans nos consciences en termes de responsabilité et de service : annoncer "l'Évangile au peuple vaudois tout entier" (comme le disent nos Principes constitutifs), "rechercher en toutes circonstances le bien véritable du pays en lui annonçant l'Évangile avec une entière liberté selon que Dieu le commande" (comme le promettent les pasteurs lors de leur consécration), seront notre manière de répondre à l'appel que nous percevons9.

Et, dans sa lettre du 11 avril 1978 adressée au Président de la République française suite à la légalisation de l'avortement en France (et récemment rendue publique), Mgr. Pierre Mamie, évêque du Diocèse catholique-romain de Fribourg, Lausanne et Genève, n'écrivait-il pas lui aussi :

Si en France des lois du genre de celles qui régissent l'avortement sont votées par le Parlement, en Suisse ces mêmes lois sont soumises au peuple tout entier. Vos décisions impressionnent – au sens fort de ce terme – certains de nos compatriotes et de nos diocésains. Je n'ai compris ni votre attitude, ni celle de Mme Simone Veil, ni celle des parlementaires qui ont défendu une loi qui est inhumaine, indigne d'un État.

Je suis convaincu qu'il existe d'autres solutions que d'établir des lois qui se contentent de rendre légale la pratique des citoyens10.

 

Bref rappel de l'enseignement de la Révélation sur le sens de la nudité

A. Lors de la Création, l'homme et la femme étaient nus et n'avaient point de honte (Genèse 2 : 25), car ils étaient encore sans péché. Leur sexualité elle-même était entièrement pure, et ils pouvaient librement accomplir l'ordre de Dieu de se multiplier et de remplir la terre (Genèse 1 : 28) sans que leurs enfants soient d'aucune manière marqués par le péché d'origine (Psaume 51 : 7), comme c'est le cas depuis la Chute.

Nos premiers parents étaient parfaits et innocents. Ils n'avaient besoin, ni de vêtements, ni de la menace du pouvoir du magistrat pour les garder des tentations, alors inexistantes, de la chair.

 

B. Mais, suite au péché et à leur désobéissance, nos premiers, parents en prenant du fruit défendu de l'arbre de la connaissance, ont cherché à s'égaler à Dieu. En décidant de manière illicite par eux-mêmes de ce qui était bien et de ce qui était mal, Adam et Ève éprouvèrent pour la première fois honte devant leur nudité. Pour couvrir cette nudité (et leur honte !) ils se cousirent des pagnes de feuilles (Genèse 3 : 7). C'est ainsi que, par leur désobéissance (et leur orgueil), le mal s'empara de leur être tout entier. Leurs passions – à la suite de leurs pensées – étaient maintenant livrées à leur tendance au mal. Mais, dans sa bonté, Dieu suscita en eux le sentiment de la honte face à leur nudité, inscrivit dans leur coeur le sentiment de pudeur et, pour les secourir dans leur détresse, leur fournit leurs premiers habits (Genèse 3 : 21). Autant la nudité était normale dans l'état d'innocence, autant le fait de couvrir sa nudité de vêtements est devenu l'ordre naturel de notre état présent d'êtres pécheurs.

La pudeur est donnée à l'homme et à la femme depuis la chute comme une protection contre notre tendance, maintenant ancrée, au dérèglement sexuel, et pour protéger le caractère mystérieux et unique de l'acte d'amour par lequel nous participons en tant que parents à l'acte créateur de Dieu. La pudeur n'identifie aucunement le péché à la sexualité, mais bien plutôt, honore ce don merveilleux en respectant les limites établies par Dieu pour son bon usage. La pudeur peut se définir comme :

(…) un certain sentiment naturel de retenue quant aux choses sexuelles, et une certaine honte à en traiter sans la discrétion et la réserve due à la dignité de leurs fins élevées11.

C. Afin de protéger le mariage, afin de favoriser la fécondité et de promouvoir le bien des hommes, Dieu, dans sa bonté, a édicté des lois concernant l'habillement, lois qui sont des normes immuables pour la législation de tous les peuples, de tous les temps. Nous indiquons les principaux passages de l'Écriture Sainte qui traitent de cette question : Genèse 9 : 20-25 ; Exode 20 : 26 ; Lévitique 18 et 20 ; Deutéronome 22 : 5. Cet enseignement est confirmé par le Nouveau Testament. Celui-ci, il est vrai, confère explicitement à cet enseignement vestimentaire un sens spirituel, où le vêtement que nous devons revêtir n'est autre que la justice du Christ, les oeuvres de justice de Jésus-Christ (2 Corinthiens 5 : 3 ; 1 Timothée 2 : 9-10 ; 1 Pierre 3 : 3-6 ; Apocalypse 19 : 8). Cette dimension spirituelle n'annule aucunement le sens éthique premier de ces textes. Ajoutons également que ce sens typologique ou allégorique est déjà sous-entendu dans l'Ancien Testament, car cette justice spirituelle du Christ était déjà symboliquement signifiée par les peaux dont Dieu revêtit Adam et Ève dès la Chute (Genèse 3 : 21).

Selon cet enseignement biblique, seuls les conjoints ont le droit de dévoiler l'un devant l'autre leur nudité. Montrer sa nudité à autrui c'est lui révéler son être le plus intime, et aussi trahir celui (ou celle) avec lequel nous devons exclusivement partager cette nudité, cette intimité. Car, rappelons-le, par les liens du mariage l'homme et la femme ne sont plus deux, mais sont une seule chair (Genèse 2 : 24 ; Matthieu 19 : 5 ; Ephésiens 5 : 31). Nous voyons ainsi que l'intégrité de la personnalité de chacun des conjoints, et la solidité du mariage lui-même, sont très étroitement liés au respect profond que nous avons de la pudeur.

 

D. Le désir de certains de nos contemporains de se dévêtir en public – geste qui ne fait que reprendre d'anciennes déviations morales et spirituelles propres au paganisme12 – est lié à la perte du sens du péché, et à la certitude, qui en est la conséquence normale, de ne plus avoir besoin de lois qui limiteraient une liberté maintenant réclamée comme un bien absolu. L'homme se considérant ainsi comme innocent, ne sentant rien à se reprocher, cherche d'instinct à retrouver l'état d'avant la Chute. Il n'a, imagine-t-il, besoin ni de vêtements, ni de lois, ni d'institutions pour le protéger contre son penchant au mal. Car il se considère maintenant au-delà du bien et du mal, ayant retrouvé, croit-il, son innocence première.

Mais l'expérience de ce siècle, modèle devant l'histoire de la pire des brutalités, ne nous a appris, qu'habillé ou non, conscient ou non de son péché, l'homme, même chrétien, demeure un pécheur dangereux pour son voisin. Et nous savons également qu'aucun homme n'est plus dangereux que celui qui se croit sans péché, qui s'illusionne lui-même sur son propre état d'innocence. Car, en conséquence de sa conscience d'un tel état illusoire de perfection utopique, il imagine pouvoir se dispenser de ces deux garde-fous bienfaisants institués par Dieu : la loi divine et l'institution du magistrat civil. Car le Créateur les a établies pour la protection des hommes contre leur tendance, innée depuis la Chute, à faire le mal.

En faisant ainsi disparaître tout frein intérieur ou public, en se dévêtant ainsi physiquement, moralement et socialement, l'on ouvre le chemin à la manifestation dans notre pays d'une violence et d'une brutalité toujours croissante, car de moins en moins freinées dans leur libre expression.

Est-ce donc bien ceci que cherchent à promouvoir nos magistrats qui travaillent à mouler les lois et la jurisprudence sur l'évolution désastreuse de nos moeurs ?

Association Vaudoise de Parents Chrétiens

avril 1980

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1 Dans le Canton de Vaud, le Professeur François Guisan de l'Université de Lausanne a remarquablement défendu l'obligation de fonder le droit positif sur un droit naturel immuable qui le transcende : François Guisan, La Science juridique pure. Roguin et Kelsen, ; Note sur le Droit naturel, F. Rouge, Lausanne, 1940 ; Conclusions d'un Cours de Philosophie du Droit, Imprimerie de la Concorde, Lausanne, 1950. Sur toutes ces questions des rapports entre la philosophie et le droit voyez l'oeuvre de Michel Villey et, en particulier, ses Réflexions sur la Philosophie et le Droit, P.U.F., Paris, 1995.

2 E. von Hippel, The Role of Natural Law in the Legal Decisions of the German Federal Republic, Natural Law Forum, Volume IV, 1959, p. 109. Sur le retour, dans l'Allemagne fédérale après la Guerre, à une conception du droit positif fondé sur un droit naturel au caractère transcendant, voyez les études suivantes : Johannes Messner, The Postwar Natural Law Revival and its Outcome, Natural Law Forum, Volume IV, 1959, 1-25 ; E. Bodenheimer, Significant Developments in German Legal Philosophy since 1945, American Journal of Comparative Law, Volume III, 1954 ; F. van der Heydte, Natural Law Tendencies in Contemporary German Jursiprudence, Natural Law Forum, Volume I, 1956, p. 115-121.

3 Les origines de ce positivisme juridique sont autant politiques que philosophiques, mais l'on ne saurait ignorer la responsabilité des théologiens et des philosophies idéalistes allemands qui, par leur abandon de toute notion de vérité révélée absolue et, par conséquent, de toute loi naturelle immuable, ont ouvert la voie à la divinisation du pouvoir.

Il n'est, par ailleurs, que justice de rappeler ici que les législateurs et les juristes allemands ont compris, après la Deuxième Guerre mondiale, à quel point il était nécessaire de soumettre les lois positives aux normes supérieures de la loi naturelle, de la Loi de Dieu. Le rejet par la Cour Suprême de l'Allemagne fédérale de la loi votée par le Parlement légalisant l'avortement pendant le premier trimestre de conception témoigne de ce souci de maintenir la loi naturelle au-dessus des lois positives.

4 Il serait fâcheux que nos Tribunaux suivent en ceci l'exemple de la Cour Suprême des États-Unis qui, au mépris de la séparation des pouvoirs, s'est de fait arrogé le pouvoir législatif suprême par l'extension abusive de son droit de décision juridique finale.

5 Nouvelle Revue de Lausanne du 6 novembre 1979.

6 Pierre Chaunu, La Mémoire et le Sacré, Calmann-Lévy, Paris, 1978.

7 Pierre Viret, Instruction chrétienne en la Loi et l'Évangile, Genève, 1564, p. 255-256. Sur la pensée juridique et politique de Pierre Viret, voyez l'excellent ouvrage de Robert Dean Linder, The Political Ideas of Pierre Viret, Droz, Genève, 1964.

8 Sur cette question de l'application actuelle de la Loi de Dieu à nos sociétés voyez les ouvrages de Rousas John Rushdoony, The Institutes of Biblical Law, Presbyterian and Reformed, Philadelphia, 1973 ; Law and Society, Ross House Books, Vallecito, 1984 ; Salvation and Godly Rule, Ross House Books, 1983 ; Christianity and the State, Ross House Books, 1986. Voyez également notre étude, Jean-Marc Berthoud, Apologie pour la Loi de Dieu, L'Age d'Homme, Lausanne, 1996 qui contient une abondante bibliographie sur ces questions. D'un point de vue catholique-romain, voyez : C. E. Rice, Beyond Abortion. The Theory and Practice of the Secular State, Franciscan Herald Press, Chicago, 1979.

9 La Vie Protestante du 28 mars 1980.

10 Bulletin du CICES Nº 258, 1er avril 1980.

11 Noël Barbara, Catéchèse catholique du mariage, Éditions Rhodaniques, Saint Maurice, 1963, p. 225.

12 Voyez de Jean Brun, La Nudité humaine, Fayard, Paris, 1973 et Rousas J. Rushdoony, The Politics of Pornography, Arlington