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Examen de la valeur du principe externe et formel de la foi réformée.
Théorie de l'inspiration
Professeur Auguste LECERF

Article tiré du second Cahier de : Du fondement et de la spécification de la connaissance religieuse, Paris, éd. " Je Sers ", 1938 – rééd. par l’APEB en 1998, et disponible à la Faculté Libre de Théologie Réformée d’Aix-en-Provence.

Notes de bas de page


C'est - normalement et dans la règle ordinaire - l'Église qui enfante les âmes des catéchumènes à la foi chrétienne. Elle est, dans le sens surnaturel du terme, la mère des fidèles.
Par ce terme d'Église, nous n'entendons pas exclusivement l'Église représentative, les synodes, les conciles et autres cours ecclésiastiques, mais cette société divinement instituée de fidèles et de pasteurs qui dispense son enseignement 'et ses sacrements sous l'autorité de Dieu parlant dans, par et avec l'Écriture Sainte, règle suprême de la foi et de la vie. L'Église représentative ne participe au caractère surnaturel de l'Église que parce que et pour autant que (quia et quatenus) ses décisions disciplinaires sont prises dans un réel esprit de soumission à l'Écriture.
C'est l'Église, par ses membres agissant dans leurs vocations respectives de parents, d'instituteurs et de ministres, qui met en contact l'âme de l'enfant avec les vérités de la foi et c'est d'elle qu'il en reçoit la norme suprême, constituée par l'Écriture Sainte. En l'absence du témoignage de l'Église, le catéchumène ne saurait même pas que ce canon existe comme un fait donné, sur lequel il n'y a plus à revenir.
En reconnaissant ce rôle primordial de l'Église dans la transmission du canon des Écritures et dans l'éclosion de la foi de l'individu, nous ne faisons pas un repli stratégique sur de nouvelles positions, les premières ayant été rendues intenables par la pression de l'adversaire. Nous restons, au contraire, solidement installés sur celles que notre Réformateur a occupées dès l’origine (1).
Calvin n'a rien voulu avoir de commun avec les "fantastiques" de son temps dont l'individualisme radical visait à mettre une sorte d'inspiration particulière au-dessus de l'autorité de l'Écriture, confondant les impulsions de leur conscience avec le témoignage du Saint Esprit (2).
Pour lui, c'est bien de l'Église, gardienne des Écritures, que le fidèle en reçoit le texte et le contenu.
Mais le néo-protestantisme d'aujourd'hui, comme celui de son temps, objecte à l'identification de l'Écriture avec la Parole de Dieu. Il oppose à la Religion de la lettre la Religion de l'Esprit (3). Et il s'accorde avec Rome pour prétendre que le canon du Nouveau Testament est une création de l'Église. Les limites du canon du Nouveau Testament ayant été déterminées, prétend-on, par l'autorité de l'Église, on conclut que le protestantisme orthodoxe est inconséquent en repoussant d'une part l'autorité infaillible de l'Église et en acceptant, d'autre part, la liste exclusive et fermée des livres canoniques du Nouveau Testament qui ne repose que sur cette autorité.
Examinons ces deux objections. Pour justifier la première, on invoque le fait qu'il est clair comme le jour que la Bible fourmille de contradictions et d'erreurs palpables. Sans doute, prétend-on, il est dans la logique du calvinisme, négateur de la causalité humaine, de supprimer l'élément humain dans la Bible. Mais à moins de soutenir que Dieu inspirerait l'erreur comme il serait l'auteur du mal d'après Calvin, il faut se rendre à l'évidence : la Parole de Dieu est mêlée dans la Bible, à un élément humain qu'il s'agit d'en séparer, comme on pourra - les critères variant avec les écoles théologiques. Les "résultats acquis" de la critique biblique ont ruiné définitivement le dogme de l'orthodoxie protestante (4). La question est vitale pour le calvinisme eu égard à la raison suivante.
La relation de confiance absolue entre Dieu et le fidèle est de première nécessité religieuse. Or, elle est conditionnée dans son existence par des faits qui lui servent de fondement, les faits confessés dans le symbole apostolique comme objets de la foi (5). Parmi ces faits, il en est qui semblent être justifiables de la critique historique, soit directement, comme la passion de Jésus sous Ponce-Pilate, les circonstances de sa mort, sa résurrection ; soit indirectement, en tant qu'attestés par des documents dont on peut discuter l'authenticité ou l'ancienneté, comme la conception virginale du fils de Marie et son ascension dans la gloire.
En liant la foi à la réalité de faits qui se sont passés sur la terre et dans le Temps, le calvinisme ne peut plus, dit-on, se passer de la science critique et c'est sa tragique destinée qu'il ne peut pas s'accommoder de cette science qui lui est indispensable (6). En effet, en raison même de l'importance vitale des questions en jeu, la défense des savants orthodoxes est suspecte de manquer d'objectivité scientifique et leur critique peut, à bon droit, passer pour un parti pris apologétique.
Nous contestons d'abord la légitimité d'un procès de tendance qui englobe indistinctement tous les critiques croyants dans une sorte de récusation préalable par suspicion légitime, suivant la méthode de "prescription" chère à Tertullien et aux controversistes catholiques du XVIIe siècle.
En matière de science, ce qui compte, c'est bien moins les sentiments et la subjectivité générale du savant que la valeur intrinsèque des raisons qu'il donne. Si ses raisons sont bonnes, peu importe que son ingéniosité à les trouver ait été stimulée par les inclinations de sa personnalité profonde.
C'est l'argument en soi qui doit être examiné. Mais il faut prendre garde, en procédant à cet examen, qu'on est aussi soi-même dominé par des indémontrables qui sont des motifs déterminants de tous jugements de valeur d'une personne normale quelconque. Ici apparaît le caractère irrémédiablement subjectif de toute critique portant sur des questions fondamentales en relations avec les principes de la vie spirituelle. C'est ce qui fait que l'histoire ancienne et particulièrement l'histoire des origines de la Religion est la plus conjecturale des sciences.
Nous ne commettons pas l'injustice de condamner en bloc le travail prodigieux de la critique moderne. Les travaux des meilleurs de ses représentants ont contribué et contribuent encore à nous aider à mieux comprendre et à mieux aimer les textes sacrés.
Ce serait une accusation gravement injuste que de prétendre que tous les critiques modernes sont animés d'une hostilité systématique à l'égard des réalités divines. C'est indéniablement le cas de certains sectaires que la passion anticléricale pousse dans les voies d'une hypercritique dont l'outrance automatique porte sa marque d'origine. Mais il faut reconnaître qu'il y a des critiques "indépendants" qui n'ont d'autre passion que le désir de connaître et de comprendre, à partir - naturellement - du point de vue culturel qui est le leur. Et il faut dire bien haut qu'il y a des critiques modernes croyants et qui veulent sincèrement servir la cause de la vérité scientifique, tout en conservant et en mettant en sûreté ce qui constitue pour eux, l'essence du christianisme.
Bien loin d'accuser ces derniers de vouloir saper les fondements de la foi, d'être indifférents à tout ce qui n'est pas science pure, de ne vouloir que démolir sans songer à édifier, nous serions tenté de les mettre en garde contre une tendance apologétique inconsciente pouvant les conduire - et ceci n'est un paradoxe qu'en apparence - à opter, dans les cas douteux, presque invariablement pour la solution "négative".
Voici ce que nous voulons dire : tout travailleur intellectuel digne de ce nom a ce qu'on est convenu d'appeler "une mystique". Il peut même en avoir deux, une mystique religieuse, un attachement profond à la personne du Christ, par exemple, et une mystique culturelle, comme l'adhésion au principe positiviste de la Science, à l'humanisme subjectiviste et évolutionniste, à la doctrine du déterminisme mécaniciste et universel, bref au conformisme scientifique. De toutes manières, le critique gagné sentimentalement et intellectuellement à l'idéologie humaniste des XVIIIe et XIXe siècles, l'homme "moderne" - moderne bien entendu au sens déjà historique et traditionnel du terme - ne peut plus, au cas où il voudrait rester ou devenir religieux, ne peut plus donner à sa religion le fondement transcendant et hyperphysique des affirmations du symbole des apôtres : la prophétie et le miracle, en général, le miracle au sens d'une intervention spéciale de Dieu dans la série causale des événements, lui apparaissant comme des impossibilités radicales. Il est contraint de distinguer soigneusement entre la foi confiance et la foi croyance à l’"histoire sainte", reflet d'une manière de penser que son idéologie le force à considérer comme périmée. Ce sera alors dans la subjectivité du croyant qu'il sera inexorablement poussé à chercher le point d'appui de sa vie religieuse. La théologie néo-protestante se rattache ainsi étroitement au psychologisme philosophique du XIXe siècle (7).
A ce point, la tentation sera grande pour lui de se démontrer à lui-même et de démontrer aux autres l'indépendance de la foi à l'égard des faits que l'orthodoxie considère comme en étant la base nécessaire. En conséquence, les résultats auxquels il aboutira seront influencés fâcheusement par cette préoccupation apologétique subconsciente.
Bien plus, ils sont déjà dictés par son idéologie. S'il est entendu, en principe, que Dieu ne peut dévoiler l'avenir à un prophète, ni ressusciter un mort, les textes qui supposent de tels faits ne peuvent être que des prédictions post eventum ou des légendes. C'est d'après cet a priori systématique qu'on les datera et qu'on en jugera la valeur historique. A cet égard, les critiques incroyants ne sont pas logés à pire enseigne que les critiques subjectivement religieux.
Parmi ces derniers, quelques-uns des plus éminents ont proclamé que, pour eux, la question qui était en jeu, au fond du débat, était celle du mode naturel ou surnaturel de la révélation. Avec Cornill, par exemple, à propos de la théorie Welhausinienne de la formation du Pentateuque, nous avons un reum confitentem (8).
Il résulte de là que beaucoup de "faits acquis" ne le sont que pour ceux qui acceptent l'idéologie Kantienne, Hégélienne ou Comtiste.
Ils reposent sur une base essentiellement subjective. Cela est si vrai qu'ils sont de nouveau remis en question par des critiques aussi "indépendants" que ceux qui croyaient les avoir établis in aternum, mais qui ne sont plus sous l'influence directe de la philosophie de Hegel. Cela est particulièrement visible pour la critique de l'Ancien Testament. On ne peut plus parler aujourd'hui d'un consensus unanime de tous les savants compétents sur l'existence, le nombre ou l'ordre d'apparition des sources du Pentateuque (9). Eerdmans nie les principes qui servent à les distinguer. Volz et Rudolf ont exorcisé le spectre de l'un des auteurs supposés par la théorie de Welhausen. Löhr a abjuré la théorie entière, etc. (10).
Et c'est parce qu'il s'est substitué une nouvelle idéologie à celle qui a précédé la grande guerre qu'un véritable malentendu s'est produit entre l'ancienne génération restée attachée à l'idéologie "moderne" et la nouvelle génération, devenue réaliste en philosophie et transcendentaliste en religion. La première accuse la seconde de manquer de sens critique et d'intérêt scientifique. Ne serait-ce pas plutôt que les principes ne sont plus les mêmes et que la critique subjective n'éveille plus ni les mêmes espoirs ni les mêmes craintes ? Le dogmatisme scientifique du XIXe siècle semble bien avoir fait son temps. Il n'est plus de mise d'attribuer à ces indispensables instruments de travail que sont les hypothèses scientifiques la même certitude qu'aux faits établis, ni de confondre ceux-ci avec celles-là.
Si le chrétien réformé croit avec une certitude absolue à l'apparition historique de Jésus le Christ, au temps de Tibère, à sa crucifixion sous un procurateur romain du nom de Pilate, ce n'est pas sur la parole d'un Josèphe, d'un Tacite, d'un Suétone. La discussion des textes de ces auteurs ne peut donner tout au plus qu'une certitude de probabilité, contestée par des savants aussi bien informés et aussi compétents que ceux qui soutiennent la thèse de la réalité historique.
L'existence de Jésus est un article de foi aussi certainement que sa naissance dans le sein d'une vierge ou sa résurrection. Nous devons donc croire a priori que Dieu a pourvu à ce qu'elle ne fût pas plus rationnellement démontrable que les autres articles de foi. Les faits de l'histoire sacrée ne peuvent devenir certains d'une certitude de foi divine qu'à condition que, par sa puissance infinie, au contact des textes inspirés ou de l'enseignement surnaturel de l'Église, l'esprit de Dieu nous rende présent le passé et y mette le sceau de son témoignage intérieur, dont la force persuasive est irrésistible. Ce n'est qu'après cette pression divine que les raisons humaines prennent une signification convaincante.
Les néo-protestants actuels, enfin guéris du rationalisme du XVIIIe siècle, font en grand nombre la même expérience que nous sur ce point. Ils comprennent la vanité de l'historicisme en matière de certitude religieuse et accordent volontiers que la certitude de l'existence réelle de Jésus est vitale pour la foi. Le conflit principiel entre la science critique et la foi n'existe pas, pour cette raison que les faits qui font l'objet de la "foi croyance" et qui servent de fondement à la "foi confiance" ne peuvent être ni prouvés ni improuvés par la critique historique. L'Église ne veut pas se passer de la science, parce que la barbarie est une forme du mal. Mais elle n'a rien à craindre d'une science libérée de l'idéologie humaniste et évolutionniste.
Mais, nous l'avons vu, on conteste que cela donne le droit d'identifier la Bible avec la Parole de Dieu. Les faits sont là, dit-on : il ne s'agit plus d'hypothèses, mais de phénomènes palpables, évidents pour tous. Il y a des erreurs manifestes dans la Bible. Il faut donc en prendre notre parti et dire que la Bible n'est pas la Parole de Dieu, mais qu'elle n'en est que le véhicule. Les représentants de la théologie dialectique vont beaucoup plus loin et disent beaucoup mieux : l'Écriture est le lieu unique où Dieu nous parle et, telle qu'elle est, même dans celles de ses parties où elle semble le plus éloignée de toute portée spirituelle, elle est divinement préparée à recevoir la lumière qui y tombera verticalement d'en haut et qui illuminera l'entendement de celui à qui Dieu parle, au lieu qu'il aura choisi et dans le temps qu'il aura marqué.
Ces tentatives théologiques faites en vue de concilier une certitude invincible de foi, portant avec elle le sceau de son origine divine avec des faits qu'un sentiment de loyauté scientifique oblige à considérer comme incontestables, expriment plus ou moins parfaitement des réalités objectives. Il est parfaitement vrai que, dans un sens que nous essayerons de déterminer, les livres inspirés contiennent un élément humain ; vrai aussi que, dans le cours ordinaire des choses, l'âme chrétienne ne peut discerner intuitivement et d'une manière sensible la voix de Dieu que dans certaines pages de l'Écriture ; vrai encore que, dans des circonstances extraordinaires, des pages qui paraissaient insignifiantes, ou même choquantes, s'illuminent tout à coup d'une fulguration divine ; vrai enfin que l'instinct de la foi avertit maîtres et fidèles que c'est dans l'Écriture et non ailleurs qu'ils doivent chercher la source et la norme de leurs croyances.
D'un autre côté, il faut reconnaître que l'impact de la masse des faits invoqués et mis en avant par la critique allemande du XIXe siècle a fait une telle impression sur l'esprit de certains croyants, même réactionnaires, et même de théologiens qui ont reçu la vocation de restaurateurs de la foi réformatrice, que beaucoup d'entre eux ont cru qu'il était impossible de maintenir intégralement l'identification de l'Écriture avec la Parole de Dieu.
Il est de fait qu'ici, il faut faire sa part à un élément subjectif, à une sorte de préjugé invincible : ces hommes viennent de loin. Ils sont nés à la vie théologique à l'époque où la puissance du courant évolutionniste balayait toutes les barrières improvisées qu'on élevait à la hâte pour en arrêter la marche irrésistible. Il est même étonnant qu'ils aient pu et qu'ils puissent faire tête comme ils le font. Ce qui, d'autre part, est un véritable miracle psychologique, c'est qu'un élève de Scholten comme Abraham Kuyper et un élève de Kuenen comme Herman Bavinck aient pu, en plein XIXe siècle avec la forte érudition dont ils ont fait preuve, oser relever le drapeau de la foi ancienne et affirmer l'inspiration intégrale de l'Écriture.
Ceux qui ont été formés dans des milieux théologiques strictement orthodoxes ne peuvent pas se faire une idée exacte de l'énergie qui a été nécessaire pour s'affranchir de la pesée qu'exerçait l'esprit dominant à cette époque. Il est de fait que leurs adversaires étaient si intimement persuadés d'être en possession des clefs de la science que plus d'un n'ont pu croire au sérieux des motifs de la conversion de A. Kuyper (11).
Les nouveaux docteurs calvinistes eux-mêmes, d'ailleurs, sentaient qu'il y avait quelque chose de peu satisfaisant dans les formules théologiques des docteurs orthodoxes du XVIIe siècle sur l'inspiration et l'intégrité du texte sacré.
En ce qui concerne l'inspiration, ils estimèrent qu'il fallait substituer à la conception "mécanique" qu'on attribuait, à tort ou à raison, aux hommes du XVIIe siècle, une conception plus souple et faisant sa large part à la personnalité et à la liberté des écrivains sacrés, à leur manière de penser et de sentir. Bref, ils substituèrent à l'automatisme la notion d'inspiration organique.
L'inspiration, dans le domaine de la pensée est alors conçue comme analogue au mode d'action de la grâce individuelle dans la conversion. La conversion a une cause primordiale : Dieu qui illumine et persuade l'entendement et qui meut efficacement la volonté. Et pourtant l'homme en est la cause secondaire formelle. C'est lui qui sent, qui croit et qui veut venir à Dieu, d'autant plus librement que Dieu le meut en lui donnant un entendement plus éclairé et une volonté plus énergique. Dans l'inspiration, Dieu est l'auteur primordial (auctor Primarius). C'est lui qui détermine l'auteur sacré à parler (respect. à écrire) et à exprimer les vérités que Dieu veut faire connaître aux hommes. Mais l'auteur sacré est bien l'auteur secondaire réel de ce qu'il dit ou écrit avec ses moyens intellectuels, littéraires et philologiques, avec ses souvenirs et conformément aux résultats, le cas échéant, de ses efforts personnels de recherches (Luc 1.3, 4).
A l'indéfectibilité, à l'inamissibilité de la grâce dans la conversion, correspond l'inerrance dans le cas de l'inspiration.
Pour ce qui est de l'intégrité du texte, on sait que les hommes du XVIIe siècle, du moins certains d'entre eux, soutenaient que, dans le cas des variantes qui existent dans les manuscrits, la leçon correcte s'était toujours conservée au moins dans l'un d'entre eux (12). Des théologiens luthériens reprochèrent âprement à Calvin de s'être écarté de cette manière de voir et d'avoir admis - dans le cas de Matt. 27.10, par exemple, qu'aucun manuscrit connu ne contenait la leçon de l'archétype autographe (13) !
L'école calviniste contemporaine donne raison à Calvin. Elle conçoit l'intégrité dans ce sens que la Providence divine a pourvu à la conservation substantielle du texte sacré, dans la mesure suffisante pour que l'intégralité de la vérité dogmatique parvienne à l'Église, en vertu de ce principe de foi que Dieu ne nous manque jamais dans les choses nécessaires.
La critique textuelle se fait selon les règles scientifiques qu'on applique à l'édition de tous les textes anciens.
Sur ce point, la modification des exagérations de certains théologiens du XVIIe siècle était d'autant plus nécessaire que, même parmi les réformés, on en était arrivé, avec le Consensus Helveticus, par exemple, à des affirmations incompatibles avec les conclusions d'une critique textuelle objective et sage, dont les réformateurs, en particulier Calvin et Bèze, chez les réformés, avaient donné l’exemple.
Les dogmaticiens calvinistes actuels ont eu également raison, à notre sens, d'insister sur le caractère organique et personnel de l'inspiration mieux que ne l'avaient fait, sans doute, leurs devanciers du XVIIe siècle. Ils ont eu raison, d'autre part, de revenir sur certaines conceptions hasardeuses de ceux du XVIIIe siècle, comme Bénédict Pictet, qui réduisait l'inspiration aux idées.
Mais il n'est pas certain, estimons-nous, qu'ils ne soient pas trop exclusifs en condamnant, en bloc, le procédé automatique. Dieu est libre, totalement libre dans les modes d'inspiration qu'il lui plaît d'adopter. Sa sagesse est infiniment variée. Il faut prendre l'inspiration comme elle se donne. Il serait absurde de méconnaître l'intervention de la personnalité de l'auteur dans un écrit comme l'épître aux Galates. Mais il n'est pas absolument sûr qu'ailleurs on ne trouve pas des cas d'automatisme (cf. Exode 34.27 et 28b) (14). Qu'on pense encore à certaines paroles d'Ézéchiel ou de l'Apocalypse de Jean.
Certes il y a quelque chose qui choque dans les auteurs du XVIIe siècle ; quelque chose qui est bien périmé et qu'on ne peut plus compter faire revivre chez des croyants d'aujourd'hui. Mais ce vice latent qui se manifeste par une application du principe d'inerrance sous la forme d'une harmonistique artificielle et forcée, n'est pas propre aux orthodoxes. Il est largement partagé par leurs contemporains rationalistes.
Il consiste, pensons-nous, dans la présupposition, acceptée par les deux camps comme une prémisse commune, que les rédacteurs de la Bible concevaient la tâche du chroniqueur selon les procédés d'exposition et les idées des historiens modernes.
Or, cette prémisse, nous ne pouvons plus l'accepter aujourd'hui depuis que nous sommes familiarisés avec les faits de la psychologie préclassique et avec les procédés que les chroniqueurs, façonnés selon cette psychologie, nous font connaître.
Certes, on a raison de traduire l'expression du Pentateuque, tôledot par histoire. Mais il faut avoir présent à l'esprit que ces généalogies et ces faits sont de l'histoire stylisée suivant des conventions assez artificielles, connues des contemporains et dont nous pouvons nous rendre compte aujourd'hui (cf. la généalogie de Matt. 1 avec les passages parallèles de l'Ancien Testament).
Sous le bénéfice des observations ci-dessus, sur lesquelles il y aura lieu de revenir, nous acceptons la conception organique de l'inspiration. Mais pour qu'il soit possible d'y faire rentrer éventuellement les cas d'automatisme, nous essayerons d'en donner une formule à la fois plus générale et plus précise.
Nous inspirant de l'un des maîtres de la théologie orthodoxe du XVIIe siècle, Pierre du Moulin (Molinaeus), nous distinguerons la matière, l'enseignement divinement communiqué de sa forme rédactionnelle (15).
Et nous dirons que cette matière est totalement divine : ici comme dans toute action, Dieu est la cause totale et unique. Dans ce sens, l'Écriture est de Dieu sans aucun mélange humain, selon l'expression de Calvin (16). Elle procède de Dieu et non des hommes (17).
Mais si nous considérons la forme rédactionnelle, nous constatons une double action, celle de la Cause première et celle de la Cause seconde. Ces deux actions sont dans le rapport de l'esprit qui commande à l'organe qui exécute, tantôt en possession de ses qualités personnelles, de ses limitations aussi et de sa spontanéité intelligente, tantôt réduit au rôle d'instrument passif.
C'est déterminé par l'esprit de Dieu que l'auteur sacré s’exprime, mais il le fait dans sa langue, suivant ses procédés propres, conformément au genre littéraire employé et au but particulier que Dieu le détermine à se proposer.
Dès lors on comprend que le récit d'un auteur que l'inspiration meut à reproduire scrupuleusement ses souvenirs personnels tels qu'ils se présentent à son esprit au moment où il compose peut présenter des divergences de détail, des " diversités ", comme dit Calvin, avec le récit d'un autre auteur qui se propose de recueillir les témoignages accessibles à ses recherches de témoins sûrs, mais dont la mémoire peut avoir conservé des détails qui ont échappé au premier auteur et qui se présentent dans un ordre chronologique différent (18). Ces "diversités" sont voulues de Dieu, dit Calvin. L'essentiel est que les auteurs s'accordent sur le "principal" qui est le seul objet réel de leur affirmation (19). On peut donc reconnaître des inexactitudes de détail dans la présentation des faits et des décalages chronologiques (20), tout en maintenant que les deux auteurs ont joui du privilège de l'inerrance pour atteindre le but qu'ils se proposaient sous l'impulsion d'une inspiration intégrale. Cette inspiration, en effet, ne suppose l'inerrance que par rapport au but qu'elle révèle à celui qui en est l'organe.
Les Évangiles ne nous ont pas été donnés pour nous permettre de construire une biographie de Jésus conformément aux exigences de l'érudition moderne, mais afin de le rendre présent à la foi qu'ils veulent faire naître. Aussi Zwingle disait-il très bien : "Si Luc parle de huit jours et Matthieu de six, il n'y a pas là de différence réelle... En ces choses, il ne faut être ni curieux ni anxieux à l'excès. Les Saintes Écritures veulent être traitées avec simplicité et avec un cœur pur. Le langage de la vérité est simple... " (21)
Le point de vue de celui qui cherche Dieu, dans l'Écriture, n’est pas celui du chronologiste.
Ce que nous venons de dire des Évangiles s'applique, mutatis mutandis, aux autres parties de l'Écriture, au Pentateuque en particulier. Il est visible que la conception que le rédacteur définitif de cette œuvre étonnante se fait de la présentation des faits du passé diffère profondément de celle d'un historien européen du XXe siècle. Il rapporte sur le même fait des traditions présentant certaines divergences, sans trop se soucier de les harmoniser et sans se poser la question du choix à faire. Il ne veut rien laisser perdre des souvenirs historiques du passé et il est étranger aux préoccupations méticuleuses des modernes en fait de conséquence rigoureuse dans l'exposition des événements. Il cite des tôledot, de l'histoire stylisée à forme épique et prélogique, parce qu’étant inspirés, ils jettent un jour parfois voilé, mais toujours précieux, sur les voles de Dieu à l'égard de l'humanité ou de son peuple. Visant ce qui est le principal pour lui, qui est d'instruire - principal qui ne coïncide pas forcément avec celui du critique moderne -, il cite parfois implicitement des traditions empruntées à des documents divers, et les citations qu'il fait présentent de ces "diversités" dont nous avons reconnu la présence dans les Évangiles. Mais l'Inspiration s'accommode parfaitement de tous les procédés littéraires en usage dans le temps où elle s'exerce. L'hypothèse des "sources" n'a donc rien en elle-même de contraire à l'orthodoxie (22).
C'est à l'exégèse, à la fois scientifique et spirituelle, d'essayer de déterminer le genre auquel appartient un écrit, si, par exemple, le livre d'Esther doit être compris comme un Midrash ou comme une page d'histoire.
On voit que le dogme de l'inspiration compris comme nous le présentons va loin, en principe, dans la solution de la difficulté qu’on nous oppose au nom des faits.
Nous pouvons désormais travailler avec une grande liberté d'esprit, à l'étude des questions d'érudition pure et de critique textuelle qui se posent en exégèse biblique.
Le dogme de l'Inspiration ne nous oblige pas à croire que Moïse soit l'auteur du Pentateuque au sens où Saint Augustin est l'auteur des Confessions. Il ne nous force pas à méconnaître les modifications rédactionnelles évidentes introduites au cours des âges, pour mettre la Loi en harmonie avec les exigences sociales d'une époque donnée. Il n'exclut pas l'hypothèse que, dans certains cas, ces modifications aient pu, dans le détail, contredire en l'altérant, une donnée historique de l'original. Le fait est reconnu par un exégète aussi résolument conservateur que le savant et consciencieux Aalders (23).
Toute hypothèse qui ne suppose pas, a priori, la négation de l'inspiration du texte original, l'exclusion systématique du miracle ou de la prophétie, qui ne suppose pas l'idéologie humaniste du XVIIIe et du XIXe siècle ; qui n'implique pas, en un mot, que l'Écriture soit impropre à remplir la fonction principale que Dieu lui a assignée, a droit à l'examen impartial et attentif de l'exégète réformé. Or, notre foi est que l'Écriture n'a pas été confiée à l'Église pour lui donner une certitude définitive sur le fait que tel personnage accompagnait ou non tel autre, en telle circonstance, ou que tel miracle s'est produit à la sortie ou à l'entrée de tel village, mais qu'elle nous a été donnée pour être la règle de la foi et de la vie, pour dire ce que nous devons croire concernant Dieu, ses desseins et ses volontés à l'égard de ses créatures.
Nous voulons réaffirmer la foi des réformateurs sur le terrain de la science actuelle. Pour cela, nous n'aurons pas besoin d'aller au delà de ce qu'ils ont cru touchant le fait de l'inspiration et nous devons être prêts à accepter loyalement les faits comme ils se présentent et à pratiquer scrupuleusement les méthodes d'une critique consciencieuse, dans l'esprit de la foi qui nous est donnée et dans la liberté indispensable à toute science qui veut être prise au sérieux.
Nous ne prétendons nullement, certes, avoir en main une baguette magique capable de faire disparaître toutes les objections de détail. Il y a dans l'Écriture des difficultés actuellement insolubles pour nous et qui resteront probablement telles jusqu'au dernier jour (24).
Nous nous contentons de montrer qu'on n'a pas le droit de prétendre qu'il est désormais impossible à un chrétien au courant des faits de croire à la vérité du principe formel de la foi réformée, qui est que l'Écriture, dans toutes ses parties, a été donnée par l'inspiration de Dieu et que la parole contenue dans les livres sacrés procède de Dieu et non des hommes.
« Or, dit Calvin, cela ne se peut connaître que par 'la foi’ » (25). Il faut donc que la foi s'attende à trouver dans l'Écriture les matières d'objections qu'elle trouve dans le monde et dans le cours de la vie. Elle doit s'attendre à ce que l'Écriture qui est le résultat, du point de vue formel, de la collaboration de Dieu et de l'homme, contienne en même temps des marques éclatantes de divinité et des témoignages irrécusables de l'infirmité et de la fragilité de l'homme. Cela aussi contribue à mettre en relief la gloire de Dieu : « tout homme est comme l'herbe et tout son éclat comme la fleur des champs... mais la Parole de Dieu demeure éternellement... »
Il faut que, selon le dire de Pascal, il y ait assez de lumière pour que ceux qui sont disposés à croire puissent accéder à la foi et assez d'obscurités pour que les autres trouvent matière à résister.
Nous avons surtout insisté sur la solution principielle des difficultés qu'on soulève à propos des "diversités" que présentent des récits parallèles d'un même fait, parce que nous pensons que c'est elles qu'on avait en vue en parlant de contradictions palpables et crevant les yeux.
Si l'objection avait en vue de prétendues contradictions morales ou théologiques, elle serait encore plus faible. La forme de la morale est d'un bout à l'autre de la Bible la même : Dieu est le législateur unique et suprême. La matière de la morale comprend d'une part des préceptes immuables parce qu'ils découlent de la nature des ordonnances que le Législateur suprême a imposées à sa création et, d'autre part, des préceptes dont le caractère obligatoire n'est que temporaire parce qu'il résulte de nécessités découlant de circonstances elles-mêmes temporaires et produites par l'état de péché. Les lois du mariage, le droit des gens, le statut personnel sont, pour une bonne part, en étroite dépendance du milieu ethnique et social et du temps. On conçoit que les préceptes matériels afférents à ces diverses situations morales doivent différer sous l'ancienne et la nouvelle dispensation de l'alliance de grâce. C'est la tâche de l'éthique chrétienne d'opérer la discrimination dans l'Ancien Testament, instrument d'une révélation préparatoire, entre ce qui est caduc et ce qui est éternel, en se conformant au principe de l'analogie de la foi et en se plaçant sous la lumière de la révélation définitive que nous apporte le Christ par l'organe de ses apôtres et de ses prophètes (26).
Remarquons en outre qu'il importe de distinguer entre les opinions ou les sentiments privés des personnages et même des héros de l'Ancien Testament et l'enseignement positif de celui-ci. Calvin n'a pas hésité à reconnaître dans la complainte de David sur la mort de Saül et de Jonathan un manque de modération répréhensible (27). Et, de nos jours, l'éminent exégète calviniste hollandais van Gelderen porte un jugement sévère sur les idées superstitieuses de David mourant et sur les mesures de vengeance qu'il prend contre ses ennemis (28).
Les différences de points de vue théologiques, quand elles sont réelles, s'expliquent non par un progrès de l'inspiration qui est un fait ne comportant pas de degrés, mais bien par un progrès dans la révélation qui est plus ou moins étendue, même chez des auteurs inspirés appartenant à la même économie de l'alliance de grâce et qui est toujours partielle même chez les inspirés les plus éminents, Nous connaissons partiellement, dit Saint Paul, par énigmes, comme à l'aide d'un miroir (I Cor. 13.12).
Il est piquant que Jülicher (29) ait allégué ce passage pour prouver que l’apôtre des gentils n'avait pas conscience de produire des écrits comparables en autorité à ceux de l'Ancien Testament.
Au XVIe siècle, l'orthodoxie réformée savait qu'il y a une grande différence de lumières entre les auteurs, également inspirés, dont les écrits constituent la Bible. C'est ainsi que Calvin après avoir fait mesurer la "diversité" qui sépare les psaumes des "livres de Salomon" servant à la profondeur des sujets traités, ajoute : « qui plus est, entre les évangélistes même, il y a si grande différence en la déclaration de la vertu de Christ, que si on fait comparaison des autres trois à Saint Jean, à peine auront-ils des étincelles de cette grande lueur qui apparaît si évidemment en Saint Jean. Et toutefois nous les recevons tous quatre également. » (30)
Si l'on demande comment, dans les cas douteux, nous saurons distinguer entre les sentiments et opinions privés des hommes dont la Bible nous raconte l'histoire et qui sont en contradiction avec l'enseignement autorisé de cette règle divine de foi et de vie, Zwingle renvoie au principe discriminatif de la théologie réformée :
« Lorsque tu vois l'un citer une parole de Dieu qui est claire et nette dans un sens et l'autre en présenter une autre aussi claire et qui contredit ouvertement la première (31), regarde quel est le passage qui honore Dieu et celui qui glorifie l'homme. Tiens toi à celui qui donne à Dieu la gloire et qui lui attribue toute œuvre, toute gloire et tout honneur. » (32)
Calvin est d'accord avec son prédécesseur pour reconnaître que ce principe est conforme à l'enseignement du Christ et doit servir de "pierre de touche" à la théologie (33). Et Bucanus, en plein XVIIe siècle, y fait appel (34).
Disons un mot enfin des prétendues erreurs scientifiques de l'Écriture dans le domaine des connaissances physiques et naturelles.
Nous n'avons aucun embarras à reconnaître avec le calviniste H. Bavinck (35) que les auteurs sacrés partageaient sur ces matières les opinions des hommes de leur temps. Mais nous maintenons que l'Écriture ne nous impose pas de croyances scientifiques erronées pour l'excellente raison qu'elle ne se propose pas de présenter un enseignement systématique sur les sciences. « Que celui qui veut connaître l'astrologie et les secrets de la nature s'adresse ailleurs », dit Calvin, commentant le premier chapitre de la Genèse (36).
Sans doute, les auteurs sacrés font des comparaisons poétiques dont l'un des termes est emprunté à des opinions populaires, aujourd'hui considérées comme fausses. Mais une comparaison poétique ne constitue pas un enseignement scientifique. Par exemple, l'exhortation morale adressée au paresseux de prendre pour modèle la fourmi (Prov. 6.6ss) ne perd rien de sa valeur du fait qu'il serait avéré qu'à l'exception d'une espèce particulière en Amérique, cet insecte n'amasse pas de provisions en vue de l'hiver - saison dont le texte ne parle d'ailleurs pas. D'une manière générale, nous ferons observer que l'Écriture, quand elle fait allusion à des faits de l'ordre naturel, parle le langage toujours vrai subjectivement de l'apparence sensorielle. Cette solution, proposée par Calvin (37), était devenue traditionnelle dans la théologie réformée du XVIIe siècle qui s'oppose, sur ce point, aux exagérations de théologiens d'autres confessions - polémiques à propos de la solidité prétendue de la voûte céleste, par exemple (38).
Nous ne dirons pas que les opinions scientifiques admises au temps où écrivait tel auteur sacré n'ont pas été consignées sous l'impulsion de l'Esprit Saint. Car tout ce qui est exprimé dans l'Écriture est là parce que Dieu a inspiré à l'auteur secondaire et humain la pensée de l'y mettre. Mais nous disons, avec le dogmaticien calviniste Mc Pherson, que la révélation ne porte pas sur les faits de cet ordre, parce que l'Écriture n'a pas été donnée pour nous enseigner la géologie ni l'astronomie, mais afin de nous dire infailliblement ce que nous devons croire sur les choses divines et ce que nous devons faire pour obéir à Dieu. Saint Augustin (39) disait déjà : « Non legitur in Evangelio Dominum dixisse : mitto vobis Paracletum, qui vos doceat de cursu solis et lune. Christianos enim facere volebat, non mathematicos ».
Nous concluons que la foi réformée qui confesse que l'Écriture est la Parole de Dieu et que c'est là, et là seulement, qu'il faut chercher cette Parole, peut et doit être réaffirmée et restaurée dans toute sa rigueur scientifique. Verbum dei manet in aternum.
Nous ne nions pas que Dieu ait inspiré d'autres écrits que ceux qui constituent le canon. Il en est qui sont perdus (40). Il est clair que nous n'avons plus à nous en occuper. Les retrouvât-on qu'on ne pourrait savoir avec certitude, maintenant, qu'ils sont destinés à nous servir de règle ; et qu'on ne pourrait en recevoir la doctrine qu'en la mesurant à l'autorité des livres Canoniques. Il en est qui existent peut-être encore aujourd'hui. Il est possible que la lettre de Clément Romain soit de ce nombre, ou tel autre écrit des pères apostoliques qui ont figuré dans le canon du Nouveau Testament et de certaines Églises particulières. Mais le fait que ces écrits ont été éliminés du canon de l'Église universelle, sous la pression de circonstances historiques qui sont sous le contrôle divin, nous avertit qu'il n'était pas dans les vues de la Providence de donner à ces écrits le rôle de norme de la foi et de la vie pour tous les siècles, mais seulement pour le temps où ils se sont imposés à l'acceptation de certaines églises (41).
Ils ne sont plus proto-canoniques, en tous cas, puisque nous devons les juger à la norme du canon reçu par la foi de l'Église universelle.
Mais ici se produit l'objection de Rome, reprise par le plus grand nombre des néo-protestants : Comment savez-vous que le Canon actuel est justement cette Parole de Dieu dont vous avez besoin et qui vous en garantit l'autorité ? L'étude de cette question fera l'objet du chapitre suivant.

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NOTES

(1) CALVIN, Inst. Chr., 1, 7, 3.

(2) Ibid., c. 9.

(3) C'est le titre même de l'ouvrage de Auguste Sabatier, correspondant à peu près au présent volume de notre Introduction à la dogmatique réformée.

(4) H. Bois, La Philosophie de Calvin, Paris, 1919, c. III, La Bible.

(5) CALVIN, Cat. Gen., sect. 18, 1re question.

(6) Harald HÖFFDING, dans sa Philosophie de la Religion, applique cette idée, non au calvinisme en particulier, mais à l'Egliseen général.

(7) Voir note 1.

(8) C. H. CORNILL, Einleitung in die kanon. Büch. d. Alt. Testaments. § 12, p. 72 : " Und viel und Grösses steht auf dem Spiele. Denn es handelt sich dabei um nichts Geringeres, ais darum, ob es überhaupt ein Verständniss der Israelitischen Religionsgeschichte möglich sein soli, ob Gott in der nämlichen Weise in welcher er sich immer und überall in der Geschichte offenbart und betätigt, sich auch in ihrer grösten und bedeutesten Erscheinung, eben der Israelitischen Religionsgeschichte, offenbart und betätigt habe. "

(9) Consulter le discours rectoral de A. Noordtzy, professeur d'Ancien Testament à, l'Université d'Utrecht, traduit en allemand sous le titre suivant : Das Rätsel des Alten Testaments, H. Wollermann, Braunschweig sans date. Le discours est du 26 mars 1927.

(10) Paul Volz und Wilhern Rudolf : Der Elohist als Erzähler ein Irrweg der Pentateuchkritik ? Töpelmann, Giessen, 1933. L. DENNEFELD, Introduction à l'Ancien Testament. Bloud et Gay, Paris, sans date. L'imprimatur est de 1934. P. 31 ss. (Etat actuel de la critique chez les protestants.).

(11) W. P. A. Winckel, Leven von Dr. A. Kuyper, Amsterdam, 1919, p. 7.

(12) J. A. QUENSTEDT. Theologia didactico-polemica, 1702, 1, c. IV, sect. 2, qu. XVIII (p. 194).

(13) J. A. Quenstedt, par exemple, op. cit. ibid., fait ce reproche à de Bèze et à Casaubon (p. 197); à Calvin (p. 204) ; aux mêmes et à Pareus (p. 205).

(14) Ch. Marston voit encore un cas -d'écriture automatique dans I Chron. XXVIII, 19. Ce que cet auteur dit sur ce mode particulier de l'inspiration au ch. XVI de son livre " La Bible a dit vrai " (Paris, Plon, 1936), est fort séduisant.

(15) Pierre du MOULIN, Le Bouclier de la Foi, v, in f. " Par l'Ecriture nous n'entendons pas le papier et les caractères, mais les divins enseignements y contenus ". Calvin exprime la même idée dans Inst. 1, 7, 2.

(16) Com. in 2, Tim., III, 16.

(17) Conf. Gal., art. V.

(18) Cette solution a déjà été présentée par le poète calviniste Da Costa à, propos de Lc18,35ss. et Mt 20,29ss. Nous y étions parvenu avant de connaître son travail. Nous avons eu la joie de la retrouver après avoir écrit ces lignes, chez le savant exégète calviniste Dr p. A. C. van Leeuwen (Het heilig evangelie naar de beschreving van Marcus uitgeleegd door... - Amsterdam, H. A " Van Bottenburg, 1928). Commentant Mc. XIV, 69, d'après lequel, contrairement à Matt., c'est une autre servante qui reconnaît Pierre, il cite le passage suivant de la Catena, dont le point de vue est identique au nôtre : "…"

Après quoi, il émet la réflexion suivante que nous traduisons du hollandais : " La chose est de peu d'importance. C'est du principal qu'il s'agit, de la chute profonde de Pierre ; les détails, ici à la périphérie, n'ont pas été notés avec une exactitude notariale. "

(19) CALVIN, Harmonie évangélique, Argument, in fin.

(20) Calvin en donne de nombreux exemples dans ses commentaires. Bornons-nous à la citation suivante : " Il ne se faut pas beaucoup empêcher de ce que saint Luc récite en second lieu la tentation laquelle saint Matthieu met pour la troisième. Car les Evangélistes n'avaient pas entrepris de tellement suivre le fil de l'histoire, que toujours l'ordre du temps fût entièrement observé ; mais seulement de faire un recueil sommaire des points principaux afin de nous mettre devant les yeux... ce qui nous était plus nécessaire de savoir d'entre les faits et dits du Christ... De savoir laquelle a été la seconde ou la troisième tentation, ce n'est pas chose de quoi il se faille beaucoup tourmenter. "(Harm., in. Matt. IV, 5).

(21) Zwingle ad. Mat. 17, 1. VI, 1; 3, 2, 7, dans S. Berger, La Bible au XVIe siècle, P. 110.

(22) BAVINCK, op. laud., I, p. 469 (N° 117).

(23) Dr G. Ch. AALDERS, De Profeet Jeremia, J.-H. Kok, Kampen, 1925, 11, p. 117-20, particulièrement p. 118 (com. sur Jér. XXXIII, 14-26).

(24) H. BAVINCK, Geref. dogm. I, § 116 (p. 468).

(25) CALVIN, Inst. Chrét. I, 8, 12.

(26) Ch. HODGE, Systematic Theology, vol. III, c. XIX, § 1.

(27) Dans les sermons de Calvin, regrettablement laissés de côté par les éditeurs des Opera omnia Calvini de Brunschwig comme sans importance (! ! ! ) et dont la publication est entreprise en Allemagne par Hans Ruckert, voir la p. 14 du Vol. I : Calvin, Predigten, 2 Samuelis et p. 17 (ch. I, 18-20), Buchhandlung des Erzichungsvereins Neukirchen Kreis Moers 1936. Même jugement de l'éxégète calviniste contemporain Aalders sur le mensonge de Jérémie (XXXVIII, 27, 28).

(28) VAN GELDEREN, De Boeken der Koningen, Eerste Deel, I koningen 1-11, J. H. Kok, Kampen, 1926, p. 50, 51, 53, 70.

(29) JÜLICHER, Einl. in das N.T6 § 34.

(30) CALVIN, Com. sur l'Epître de Jacques, argument. Voir la même idée dans l'Argument de l'harmonie évangélique.

(31) Dans ce passage, Zwingle affirme que toutes les paroles de l'Ecriture sont paroles de Dieu dans ce sens qu'elles sont toutes rapportées par inspiration divine. Il est certain qu'il n'admettait pas que Dieu pût se contredire. C'est déjà la distinction des théologiens postérieurs entre l'autorité historique et l'autorité normative.

(32) ZWINGLE, II, 1, 293 s., dans S. Berger, op. cit., p. 111.

(33) CALVIN, op. Bruns. 1, 12 s. 16; Com. in Joh. VII, 18.

(34) Cf. BUCANI : Quoestiones theol. Loc. IV, § XIV. Bern. 1605 : Quoenam nota est... per quam omnes homines sani doctrinam acquiescant esse veri Dei doctrinam ? Quod quoe doctrina vos et sollius Dei gloriam in solidum et ubique quoerere et illi adhe rere docet, illa procul dubio veri Dei doctrina est, sed toemen sobi renati in ea, ut salutari et Dei doctrina cordis sui … acquiescant.

(35) H. BAVINCK, Geref. Dog. p. 473 (n° 117).

(36) Com. in Gen. I, 6.

(37) CALVIN, Com. in Gen. 1, 6 : " Hoc mihi certun principium est, hie nonnisi de visibili mundi forma tractari. "

(38) CALVIN, Com. in Psalm. CXLVIII, 3. - Consulter : Zöckler, Geschichte der Beziehungen zwischen Theologie und senschalf, Gütersloh, 1877, vol. I, p. 690-716.

(39) AUGUST, De actis cum Felice Manich, I, 10.

(40) CALVIN, Predigten 2 Sam. I, 18 (p. 12) ; Com. in Eph. III, 3.

(41) GROSHEIDE, Algemeene Canoniek van het Nieuwe Testament, Amsterdam, 1935, p. 17, note 5 ; p. 72 ; p. 85, note 6.