Arnaud-Aaron
UPINSKY, La Tête coupée. Le secret du pouvoir, Éditions Le Bec, 1998, 526
pages. (Première édition OEIL, 1991.)
Joël
Pavicevic, Résister et Construire N° 45-46
(octobre-novembre 1999, pp. 60s)
Par le passé, quand l'on voulait se débarrasser de
quelqu'un, on lui appliquait la décollation, on lui coupait la tête.
De nos jours, le supplice est plus raffiné : il s'appelle la parole coupée ! Tel est
le sujet magistralement développé dans le livre d'Arnaud-Aaron Upinsky,
La Tête coupée. Le secret du
pouvoir.
Le secret du pouvoir est donc à rechercher dans le
langage. C'est pour cela qu'aujourd'hui, l'on ne coupe plus guère
les têtes, mais l'on s'applique à la lobotomisation par la parole
(la désinformation suprême), en allant du discours vrai au discours
fort. Par un diabolisme dialectique, on passe de l'artisanat du
crime à l'industrie du crime, des massacres isolés aux génocides
planifiés. Génocides réels ou virtuels, je précise, car dans
le monde du nominalisme, les crimes réels sont délaissés au profit
des virtuels, désinformation oblige. Car dans ce monde renversé,
le bourreau est devenu la victime et la victime le bourreau. Finalement
on passe de la parole aux actes, de la parole coupée à la tête
coupée, et la boucle est bouclée. C'est ce qui s'appelle la
politique par la sophistique.
Pour faire un résumé aussi succinct que possible de ce
livre je me permettrai de n'en retenir que quelques-uns des points
importants. Ceux-ci inciteront le lecteur à la réflexion et, je l'espère,
l'inciteront surtout à se procurer ce livre et à le lire, ce qui
pourra lui préserver sa tête, ou si par malheur elle serait déjà
tombée, de la retrouver.
1/. Au commencement était la parole (le Verbe),
puis vint l'écrit et ensuite le chiffre (Nom-bre).
2/. Au commencement était le Poète, puis vint le Mathématicien.
3/. Au commencement était la réalité, puis vint l'abstraction,
l'utopie.
4/. Au commencement était le langage réaliste (le
nom lié à la chose), puis vint le langage nominaliste
(le nom arbitrairement coupé de la chose), donc langage et chose
deviennent manipulables à volonté.
5/. Au commencement était est et sera le Christ
puis vint l'Antichrist qui est aussi Antéchrist contre le Christ
et à la place du Christ.
Nous pouvons donc, au vu des exemples 1 à 4 discerner dans
l'histoire de l'humanité (du moins à mon sens) deux âges biens
distincts. Le premier étant celui qui se déroule depuis les
temps anciens jusqu'au siècle des Ténèbres
(celui qu'on a de manière sournoise appelé siècle des Lumières)
qui précède la Révolution française (mère des révolutions
modernes). Dans cette période la parole tient la première place,
malgré les différents temps de confusion (Babel). C'est le temps des poètes
et de la culture classique : esthétique, artistique, littéraire
(car l'écrit, qui est une dégradation de la parole, fait cependant
encore partie de la famille du Verbe.) C'est aussi le temps de la réalité
ordonnée dans la vie de la société : l'Église, le Roi, les
Nobles, le Peuple ; celui encore du langage réaliste, «de la vérité
des mots» ; de l'esprit de finesse, donc de celui de l'intelligence
qui gouverne les sens.
A l'opposé se trouve la seconde période, celle des ténèbres
révolutionnaires (celle d'une nouvelle Babel, plus
terrifiante que celle des siècles précédents). C'est elle qui
subsiste jusqu'à aujourd'hui. C'est la période où l'anthropophagie
(cannibalisme) de l'homme (l'homme, à cause de sa nature de pécheur,
est un loup pour l'homme, il s'agit d'une vision réaliste), est
recouvert par le mythe (nominaliste) du bon
sauvage, expression
qui est une contradiction dans les termes mêmes, car le sauvage, perçu
à l'époque comme cannibale, serait arbitrairement décrété être bon
! Le bien est ici confondu avec le mal (Ésaïe 5 :20) ; c'est la
transmutation des valeurs de Nietzsche, au
delà du bien et du mal.
Bien sûr, c'est la période du nom, dont découle
le nom-bre, c'est-à-dire le chiffre. C'est le temps des mathématiciens
et de la culture scientifique.
C'est aussi le temps de l'utopie. Il n'y a plus d'Eglise, plus de
Rois, et de Nobles. Il ne reste plus que le peuple souverain (roi),
mot chimère s'il y en a : car comment peut-on être tout à la fois Roi
(celui qui commande) et peuple (celui qui est assujetti au Roi) ? Cette
période possède tout de même un nouvel évangile,
non
pas un évangile divin, mais un évangile (une bonne
nouvelle) humanitaire : c'est la démocratie. Car la démocratie
moderne est fondée sur la loi du nombre (la sacro-sainte majorité),
nombre qui sacralise la ruse, le mensonge et la violence.
Elle possède aussi ses nouveaux Dix Commandements
: ce sont les Droits de l'Homme. Remarquez
ici que l'on épelle l'Homme
à la fois avec un «H» majuscule et au singulier. Il s'agit donc de
l'homme universel abstrait, sans patrie, sans sexe, sans état, sans
qualité. Et c'est par la magie du pouvoir diviseur du nombre et
de la désinformation qui en découle que cet Homme général prend
possession de tous les droits sur l'homme particulier, concret qui, lui,
n'en détient effectivement plus aucun. C'est ce que notre auteur
appelle le pouvoir magique du
chiffre, pouvoir
miraculeux s'il en est qui fait que ce qui n'est pas est, et que ce qui
est n'est plus. Ainsi de nos jours nous entendons, dans le langage
utopique des nominalistes, à tout moment parler des droits
fondamentaux de l'Homme, ceci
tout spécialement par ce goulet d'abrutissement universel qu'est la télévision.
Oril est bon ici de rappeler les paroles de la Sainte Écriture : Personne
ne peut poser d'autrefondement que celui quia été posé, savoir Jésus-Christ.
(I Corinthiens, 3 : 11)
Notre temps est bien celui du langage nominaliste, «du pouvoir
(non du sens !)
des mots», de l'esprit de géométrie (non de celui de finesse,
celui de la signification),
donc du pouvoir des sens (mesurés, chiffrés) qui gouvernent
totalement l'esprit. La Parole est ainsi remplacée par le chiffre,
les mathématiques, notre nouvelle langue universelle.
Cela s'appelle en français, mettre la charrue avant les bœufs. C'est
le temps des vampires qui ont besoin des vivants pour subsister,
d'où la prolifération des musées.
Cette remarque nous amène directement à notre cinquième
point, celui de la responsabilité. Même si Upinsky ne l'aborde
pas directement dans son livre, il le laisse pourtant clairement
sous-entendre.
Au commencement était la Parole (le Christ), le Dieu-Verbe
qui s'est Incarné, le Dieu-Homme, le Créateur. Puis vint le nombre
(I'Antéchrist), le dieu-géomètre, une pure abstraction, celle de l'Homme-dieu.
C'est lui qui doit précéder le retour du Christ. IIl n'est rien
d'autre que l'apothéose de la créature révoltée.
Sachons donc choisir si nous voulons être des adorateurs
du Créateur ou ceux de la créature. Car nul ne peut servir deux maîtres
! Le choix du Créateur est, sans aucun doute, de loin le meilleur.
C'est celui de la croix vénérable et de la liberté radieuse, de la
liberté dorée. Celle où nous sommes en tout esclaves du Christ-Dieu
celle qui nous fait trouver la Voie de la Vérité et de la Vie éternelle.
Tandis que celle de l'Homme-dieu autonome et «libre» conduit irrémédiablement
vers le mensonge, la malédiction et la mort.
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