Pierre Viret
(1511-1571)
Biographies
Bibliographie
Biographies
Pierre Viret
/ Instruction chrétienne ! - Oeuvres
complètes, vol. I
Théologie. Textes rassemblés par A.-L. Hofer.
ISBN 2-8251-1416-2. 800 p., 90.– (Ed. L'Age d'Homme)
Pierre Viret (1511-1571) est le grand réformateur
vaudois, et l’une des grandes figures de la Réforme en général.
Ecrivain de grand talent, il a laissé un monument de théologie, l’Instruction
chrétienne. Ce chef-d’oeuvre rassemblant toutes les idées et les
visions d’un grand courant spirituel, et les traduisant sous de
nombreuses formes (apologue, dialogue, récit) n’avait jamais été réédité
depuis 1564! Voici enfin le début d’une réédition nécessaire et
attendue, en dix volumes, par les soins du pasteur A. L. Hofer et de l’Association
Pierre Viret.
August 27, 1565 • Pierre Viret Was
Ordered Out of France.
Pierre Viret was the most popular preacher in sixteenth century France.
Among the cities which invited him to preach were Paris, Orléans,
Avignon, Montauban, and Montpellier. He was preaching at Nimes at the
time. Pierre accepted Montpellier's offer, believing Christ wanted him
there; and he converted almost the whole faculty of the city's medical
college to Reformation Christianity. But unlike Calvin, Knox and other
reformers, Pierre Viret's name gets almost no recognition today.
Curiously enough, he was not even a Frenchman. He was born in the
little Swiss town of Orbe in 1511. His parents were poor, but Pierre took
advantage of a free education to begin his life of scholarship. Eventually
he attended the University of Paris. As in Switzerland, some of his
teachers were Lutheran sympathizers and he became a convert to Reformation
faith.
William Farel, the same man who later convinced John Calvin to become a
preacher, convinced Pierre too. From then on, his whole life was dedicated
to godliness and spreading the gospel. He was so effective that Catholic
enemies tried to stab him to death; he was severely wounded. Later,
Catholics poisoned his spinach. He survived, but he suffered stomach
problems ever afterward.
A beautiful thing about Pierre was that these ugly attacks and the
riots that accompanied his sermons, did not warp his spirit. To the
contrary, he preached just as lovingly to his enemies as ever. Although he
was staunchly Protestant, he labored to bring about reconciliation between
Catholics and Protestants.
For many years he worked in Lausanne and Geneva before beginning his
work in France. Thousands attended his sermons. Whole regions came to
Christ under his teaching. Although we often describe the Huguenots as
French Calvinists, many were actually converts to Pierre's slightly
different teachings. (For instance, he viewed the Lord's Supper as more
symbolic than Calvin did.) When Pierre was at Lyons in Southern France,
Catholics regained control of that region. On this
day, August 27, 1565 Pierre received a notice telling him to get
out. He went to Navarre which was ruled by the Protestant queen, Jeanne
d'Albret.
A few years later, Pierre and eleven other ministers were captured by
the Catholics. Seven were executed. Pierre, however, was allowed to live
because the commander had heard so much good about him from other
Catholics.
Pierre suffered many things in his life. His first wife and his
children by her died of plague. His second wife and two children also died
of plague. These griefs made him a sympathetic figure to those with
similar sufferings. Despite ill health, Pierre preached countless sermons
and wrote about fifty books. He died at the age of sixty, worn out with
hard work and suffering.
Sources:
1. Linder, Robert D. "Forgotten Reformer." Christian History.
2. "Viret, Pierre." Oxford Encyclopedia of the Reformation.
PIERRE VIRET (1511-1571) ET LA
DISCIPLINE ECCLÉSIASTIQUE
Olivier FAVRE*
Introduction
Bien souvent, dans les milieus "évangéliques" de type
baptiste, on croit que le pédobaptisme s'allie automatiquement avec le
multitudinisme et que, par conséquent, tous les Réformateurs étaient
multitudinistes.
En examinant le cas du Réformateur Pierre Viret, nous verrons que cette
conclusion est fausse puisqu'il croyait à la nécessité d'une pratique
courageuse de la discipline ecclésiastique, pratique pouvant aller jusqu'à
l'excommunication - l'exclusion du sein de l'Eglise - du pécheur notoire
qui demeure dans sa rébellion.
A l'inverse, dans certains milieux pédobaptistes, on a tendance à croire
que tous les baptistes prétendent avoir une Eglise pure, composée
uniquement de personnes régénérées. On les accuse de s'arroger la prérogative
divine de juger les coeurs de leurs ouailles.
Si certaines Eglises de type baptiste agissent ainsi (ce qui les conduit,
en général, à nier la doctrine de la persévérance des saints),
d'autres ne le font pas. Bien qu'ils ne baptisent que des adultes, dont la
profession de foi est crédible et la vie en obéissance croissante aux
commandements de Dieu, ces baptistes savent qu'ils ne jugent pas les
coeurs et que leur Eglise demeure un rassemblement mixte. Comment le démontrent-ils?
Par une pratique forte et virile de la discipline ecclésiastique,
pratique pouvant aller jusqu'à l'excommunication - l'exclusion du sein de
l'Eglise - du pécheur notoire qui demeure dans sa rébellion.
Cela nous permet de comprendre que quelles que soient nos divergences ecclésiologiques,
le sujet de la discipline ecclésiastique nous concerne. Ce sujet, s'il
est devenu impopuplaire et mal appliqué aujourd'hui, est cependant d'une
importance capitale pour la survie et l'orthodoxie de nos Eglises.
Le Réformateur Pierre Viret - qui a été banni de sa patrie pour avoir
voulu maintenir à tout prix "la discipline très simple et très
pure des temps apostolique"[1] dans
l'Eglise de Lausanne du XVIe siècle - nous fournit une porte
d'entrée intéressante pour aborder ce sujet.
I. Pierre Viret, un grand Réformateur
Viret est souvent confondu, aujourd'hui, avec Vinet, cet autre Vaudois qui
a vécu au XIXe siècle et qui a oeuvré pour la création de
l'Eglise libre vaudoise. Pourtant Viret, malgré l'oubli dans lequel il a
sombré, est d'une envergure tout autre que Vinet tant par sa richesse théologique
que par son rayonnement[2] .
Rappelons brièvement quelques éléments biographiques qui montreront
l'importance qu'il a eue lors de la Réforme.
Pierre Viret est le second des trois fils d'un homme de la petite
bourgeoisie, domicilié dans la ville d'Orbe, non loin de Lausanne. Ayant
une inclination pour les lettres et la religion, il est, selon la coutume
de l'époque, voué à la prêtrise. C'est pourquoi, en 1528, à l'âge de
dix-sept ans, il se rend à Paris, au collège de Montaigu, qu'il fréquente
peu de temps avant un certain Jean Calvin. C'est là qu'il acquiert sa
solide formation et qu'intervient sa conversion. Il parle de cet événement
comme d'un moment douloureux et d'une lutte intense[3]
. Dans sa providence, Dieu l'a conduit dans la capitale française afin de
devenir un instrument privilégié pour la réformation de son Eglise et
la conversion de beaucoup.
De retour dans sa ville natale en 1531, il entend une prédication de
Farel. Quelques semaines plus tard, il monte en chaire, convaincu par
"les tonnerres" de Farel qu'il doit poursuivre le travail fraîchement
commencé. C'est ainsi qu'il commence un ministère qu'il ne quittera
qu'au moment où le Seigneur le rappellera à lui, quarante ans plus tard,
étant à Pau, dans le royaume de Jeanne d'Albret.
Avant de s'établir à Lausanne, au début de 1536, Viret sillonne la
Suisse romande. Il va à Neuchâtel, puis à Payerne. On le retrouve à
Genève au moment où a lieu la "dispute" en vue de l'établissement
de la Réfome dans cette ville. Il y reviendra à plusieurs reprises pour
y rencontrer son ami Calvin et aussi pour y exercer le ministère.
C'est ainsi que pendant le bannissement de Calvin de 1537 à 1542, il est
prêté aux Genevois pour une durée de six mois et restera, en fait, un
an et demi à la demande de Calvin qui désire avoir à ses côtés son
ami Viret lors de son retour de Strasbourg.
A Genève, il est très apprécié et fait un travail remarquable. Voici
ce qu'écrit Farel aux pasteurs de Zurich:
J'ai vu l'édifice admirable élevé là par le travail de Viret. Son
labeur a été immense pour ramener le peuple dans la bonne voie[4]
.
Viret revient à Genève en 1559 lorsque banni par les Bernois à cause de
sa ténacité pour établir la discipline ecclésiastique, il doit quitter
son pays définitivement. Il y est si apprécié que, dès son arrivée,
une place de pasteur lui est attribuée en raison de la simplicité de ses
propos et d'une douceur persuasive alliées à une grande profondeur que
tous lui reconnaissent. Les registres de la Seigneurie de Genève parlent
de ses succès "prodigieux"[5] et
un certain Verdheiden déclare:
Il avait une parole si douce qu'il tenait son auditoire éveillé et
attentif. Son style avait tant de force et une harmonie si caressante à
l'oreille et à l'esprit que les moins religieux parmi nous, les plus
impatients (...) l'écoutaient sans peine et avec complaisance. On eut
dit, à les voir comme suspendus à ses lèvres, qu'ils auraient voulu le
discours plus long[6] .
Pourtant, ce n'est pas à Genève que la carrière de Viret se termine.
Suite à une maladie, il doit prendre un temps de convalescence dans le
sud de la France. On retrouve sa trace, entre autres, à Orange, Nîmes,
Montpellier, Avignon, Valence et Lyon. Ensuite, il quitte définitivement
Genève avec sa famille et répond, en 1567, à un appel de Jeanne
d'Albret, reine de Navarre. Les actes du Synode de 1567 attestent que
"sous le bon plaisir de la Reine, (...) sa résidence sera à Pau
(...) et sera nommé super numéraire suivant la Reine, selon que sa santé
et commodité pourra porter"[7] .
Malgré le peu de renseignements que nous avons sur cette période de sa
vie, quelques indices montrent qu'il joue vraisemblablement un rôle de
tout premier ordre dans l'établissement et l'organisation de l'Eglise réformée.
Son salaire est largement au-dessus de celui d'un pasteur marié. Il est
modérateur de quatre synodes successifs, alors que le règlement spécifiait
qu'il était impossible d'occuper ce poste deux années consécutives.
Au cours de sa vie, Viret écrit beaucoup: une cinquantaine d'ouvrages,
dont certains sont très volumineux. Dans la plupart d'entre eux, il témoigne
de ce souci constant d'édifier le peuple[8]
. C'est pourquoi il fait un usage abondant des dialogues. Il veut que la
Parole de Dieu et la doctrine soient rendues au peuple; c'est pourquoi il
encourage, entre autres, la traduction des Psaumes en béarnais et celle
du Nouveau Testament en basque.
Notre propos n'est pas de rendre un culte à l'homme, mais seulement de démontrer
que Pierre Viret est un grand Réformateur oublié. Où figure-t-il sur le
mur des Réformateurs à Genève? Il est mentionné sur un bas-relief du côté
gauche comme celui qui a administré le premier baptême évangélique à
Genève le 22 février 1534, mais il n'a pas de place à côté des quatre
grandes statues de Knox, Farel, Calvin et Bèze. Pourtant, quand ce
dernier parle de Calvin, Farel et Viret dans ses Vrais pourtraicts
, il les appelle "le trépied d'élite", et dans ses Vers
latins , il vante "la science de Calvin, les tonnerres de Farel
et le miel de Viret."[9]
Si Viret a séjourné à Genève et en Béarn, il est avant tout le Réformateur
de la ville de Lausanne. C'est là qu'il a exercé la plus grande partie
de son ministère et que sa pensée sur la discipline ecclésiastique
s'est développée et affirmée. Comme il le déclare lui-même[10]
, Viret s'installe à Lausanne peu avant l'invasion des terres par l'armée
protestante bernoise qui a lieu en février-mars 1536.
Si, au début, Viret s'accommode bien de ce nouveau souverain qui le protège
dans la proclamation de l'Evangile, les tensions ne tardent pas à naître
à cause de l'attitude dictatoriale avec laquelle le souverain bernois
tend à gérer l'Eglise vaudoise nouvellement réformée. Diverses
controverses éclatent: sur les biens ecclésiastiques, la prédestination,
la cène, l'administration du baptême, le catéchisme, le manuel
d'enseignement de l'Académie de Lausanne, qui n'est autre que L'Institution
chrétienne de Jean Calvin, et enfin, la discipline ecclésiastique.
Lausanne devient ainsi la ville dans laquelle se focalisent les tensions
entre deux théologies différentes. Les Bernois incarnent une ecclésiologie
zwinglienne, avec sa conception de l'Eglise d'Etat à laquelle tout
citoyen appartient. Chez eux, c'est le magistrat qui, en dernier recours,
a autorité sur l'Eglise. Alors que Viret et les pasteurs lausannois qui
l'assistent adhèrent à une ecclésiologie que nous pourrions appeler
"calviniste", par anachronisme puisqu'elle se développe très
probablement, dans un premier temps, indépendamment de Calvin. C'est une
ecclésiologie qui maintient la distinction des deux sphères (celle de l'Etat
et celle de l'Eglise) bien que toutes deux soient instituées par Dieu et
détiennent leur autorité de lui.
Berne refuse catégoriquement d'accorder aux pasteurs le
"pouvoir" de prononcer l'excommunication des pécheurs
"scandaleux" (notoires et publics), leur permettant tout au plus
de les citer devant le Consistoire afin qu'ils soient "dûment
admonestés (...) n'entendant pas toutefois que la cène doive leur être
refusée"[11] .
Cela ne suffit pas aux pasteurs lausannois, Viret en tête, qui
maintiennent que l'excommunication fait partie intégrante d'une
discipline ecclésiastique biblique. Jusqu'à la fin, ils essaient
d'obtenir ce moyen biblique de corriger les pécheurs
"scandaleux", menaçant à deux reprises, en 1558, de ne pas
distribuer la cène s'ils n'obtiennent pas gain de cause dans ce débat.
C'en est trop pour les Bernois qui suspendent la cène jusqu'à nouvel
ordre et bannissent Viret, Valier et Banc, les trois pasteurs de Lausanne.
L'ensemble de la Classe[12] se solidarise
avec eux, si bien que tous les pasteurs sont incarcérés pour deux jours
au château baillival de Lausanne.
C'est un moment dramatique pour l'histoire de la Réforme lausannoise.
Cette terre d'asile étant devenue inhospitalière, il semble que six
cents à mille Français quittent Lausanne avec Viret, les uns pour Genève
(c'est le cas, entre autres, des meilleurs professeurs de l'Académie de
Lausanne), les autres pour retourner dans leur pays.
II. L'importance de la discipline ecclésiastique pour Pierre Viret
L'acharnement de Viret à vouloir maintenir la discipline ecclésiastique
dans toute son étendue est révélateur de l'importance qu'il lui
accordait. Pour lui, cette discipline est capitale et aucune Eglise digne
de ce nom ne peut s'en passer, car sans elle, il est impossible que la
Parole de Dieu et les sacrements soient administrés correctement. La
discipline ecclésiastique est au coeur de son ecclésiologie[13]
.
L'importance qu'il lui accorde vient de ce qu'il la lie étroitement à la
prédication de la Parole de Dieu et aux sacrements, en particulier à la
cène. Elle est instituée par Dieu "qui a ordonné et commandé que
l'Evangile fût prêché, et qui a ordonné le Baptême et la Cène, il a
aussi ordonné cette discipline"[14]
. Ainsi pour Viret, l'Eglise peut se passer de la discipline, "(...)
si elle se peut passer de l'administration et de l'usage de la Parole de
Dieu et des sacrements"[15] .
La discipline est donc le lien qui permet de tenir ensemble les deux pôles
de l'orthodoxie réformée, à savoir la fidélité doctrinale et la
conformité de vie à cette doctrine. Viret croit que l'Eglise doit être
épurée tant des hérétiques que des vicieux et des immoraux:
"Les chiens et pourceaux doivent être forclos (chassés) des assemblées
de l'Eglise: ceux qui se déclarent chiens et pourceaux par leur vie
seront traités semblablement que ceux qui (sic) se déclarent tels
par la doctrine."[16]
Par ses propos, Viret témoigne de son attachement à une Eglise
confessante bien disciplinée. Il ne peut tolérer l'inclusion au sein de
ce peuple d'une multitude qui n'a que faire de la confession de foi et
refuse de conformer sa vie aux exigences bibliques.
Suite à ce que nous venons de voir, nous comprenons la grande importance
de la discipline ecclésiastique pour Viret. Elle est quasiment la troisième
marque de la vraie Eglise, accompagnant sans cesse la prédication et les
sacrements[17] . Son importance est liée
au triple but, essentiellement positif, qu'elle poursuit et qui consiste
à
- à ramener le croyant errant,
- protéger l'Eglise contre les faux docteurs,
- préserver l'honneur de Dieu et la pureté du sacrement.
Certes, la discipline châtie et retranche celui qui ne s'amende pas, mais
son moteur est toujours l'amour. Un amour qui doit changer d'objet en
fonction de la réaction à la discipline. D'abord, c'est un amour qui
s'exerce envers le prochain. Ensuite, cet amour s'exerce envers l'Eglise
de Jésus-Christ afin de ne pas la laisser être contaminée par l'erreur.
Et, enfin, cet amour s'exerce aussi envers Dieu dont la gloire et
l'honneur ne doivent pas être souillés au sein de son peuple par un pécheur
rebelle.
Dans la discipline, Viret ne croit pas que le prochain doit être le seul
bénéficiaire de notre amour. Certes, il en est le premier, car si nous
le voyons dans le péché, c'est par amour et non par suspicion que nous
devons aller le reprendre, l'édifier au moyen de la Parole de Dieu. S'il
s'endurcit dans son péché, l'amour doit changer d'objet. Il n'est plus
question de privilégier l'amour pour lui. Ce pécheur rebelle est un
"loup" qui risque de ravager le troupeau. Pour Viret, ne pas
voir cela et rester passif dans une telle situation, c'est manquer d'amour
pour les frères fidèles et pour l'Eglise de Dieu.
"(Pierre) Te semble-t-il qu'il fallut tenir pour miséricorde, si après
qu'un loup aurait mangé des brebis, on avait pitié et compassion de lui,
qu'on l'épargnait pour lui en laisser encore manger d'autres? (Nathanaël)
Il me semble que ce serait plutôt grande cruauté. Car ce serait meurtrir
les brebis pour épargner les loups et abuser envers eux de la miséricorde
de laquelle il convient d'user envers les brebis. (Pierre) (...) il y en a
plusieurs qui usent en matière de justice d'une telle charité et miséricorde,
en supportant les méchants qui méritent punition, et laissant fouler les
justes et les innocents, au lieu de leur faire raison comme il appartient.
Le semblable advint aussi souventes fois en l'Eglise, quand on y supporte
par trop les scandaleux, et qu'on n'a pas regard au grand dommage qu'ils
apportent à toute l'Eglise"[18] .
De même, si l'Eglise tolère en son sein un pécheur scandaleux, elle
bafoue l'honneur de Dieu chaque fois que cette personne vient à la cène.
Un tel laxisme n'est pas sans conséquences pour l'Eglise qui, par sa tolérance,
se trouve associée à ce pécheur et à ses actes, se plaçant du même
coup sous le jugement de Dieu.
Car si nous fasons notre devoir envers tels personnages pour les retirer
du mal et pour remédier aux scandales qu'ils font (...) il est tout
certain que nous nous rendons coupables des péchés qu'ils ont commis et
de la punition qu'ils ont méritée par iceux (ceux-ci)[19]
.
Nous constatons donc que si Viret ne peut se passer de la discipline ecclésiastique
et de l'excommunication, ce n'est en aucun cas par désir de vengeance
mais par amour.
* Il aime ses brebis et veut les voir progresser dans l'obéissance à la
Parole, c'est pourquoi il n'hésite pas à recourir aux moyens que le
Seigneur a donnés dans l'Ecriture pour les aiguillonner.
* Il aime son troupeau, c'est pourquoi il n'hésite pas à recourir aux
moyens que le Seigneur a donnés dans l'Ecriture pour le protéger.
* Il aime son berger, le Bon Berger, c'est pourquoi il n'hésite pas à
recourir aux moyens que le Seigneur a donnés dans l'Ecriture afin de la
glorifier et de l'honorer.
Aimons-nous assez nos frères et soeurs, nos Eglises et notre Dieu pour
avoir recours aux moyens divinement institués, même s'ils sont
douloureux à employer? Même s'ils sont parfois lourds de conséquences
pour ceux qui les utilisent?
III. Le cadre de la discipline chez Viret
A qui revient la responsabilité d'exercer la discipline ecclésiastique?
Telle est la question à laquelle nous allons tenter de répondre dans
cette section.
Pour Viret, l'autorité suprême réside en Dieu qui la délègue à ceux
qu'il établit: les magistrats civils et les ministres de l'Evangile.
Leurs fonctions ne peuvent s'exercer légitimement qu'en se soumettant,
l'une et l'autre, à la Parole écrite de Dieu: "(...) quand la Loi règne
et commande, c'est Dieu qui règne et gouverne, et non pas l'homme, lequel
n'est sinon ministre de Dieu (...).[20]
"
Pourtant, malgré leur institution divine commune, leur livre de référence
commun et un rapport de complémentarité etde réciprocité qui doit
s'exercer entre elles, Viret ne les confond pas. Leurs champs d'action
sont distincts:
Car le ministère de l'Eglise et l'office des magistrats sont deux charges
manifestement distinguées par la Parole de Dieu. Il ne les faut donc
point confondre l'une avec l'autre, ains (mais) les distinguer toujours,
comme le Seigneur qui a ordonné et l'une et l'autre les a distinguées."[21]
C'est aux ministres de l'Evangile que revient l'interprétation de l'Ecriture
et l'exercice de la discipline ecclésiastique alors que l'établissement
des lois est attribué aux magistrats. C'est donc au sein de l'Eglise que
la pratique de la discipline ecclésiastique trouve son application. Et si
tel est le cas, il nous faut nous pencher sur cette Eglise pour en découvrir
l'organisation.
Viret distingue entre ce qu'il appelle la vraie Eglise, c'est-à-dire l'Eglise
universelle , et les manifestations locales du peuple de Dieu[22]
. L'Eglise universelle, connue de Dieu seul, est le peuple des croyants de
tous âges. On y est incorporé par la régénération que Dieu opère
dans le coeur. Ainsi, l'appartenance à cette Eglise dépend de Dieu seul,
qui connaît les coeurs[23] .
Mais, ici-bas et dans l'histoire, cette Eglise universelle se présente
sous la forme d'Eglises locales . Chacune d'entre elles est
imparfaite, car l'acceptation d'un nouveau membre en son sein ne se fait
pas sur un jugement du coeur, mais selon des critères visibles et
audibles faillibles: la confession de la foi et la conformité croissante
de sa vie à la Parole de Dieu.
Il y a donc une mixité de fait au sein de l'Eglise locale, réalité dont
l'Eglise ne porte pas la responsabilité aussi longtemps que la vraie
nature du pécheur demeure cachée. C'est le travail de la prédication de
la Parole, soutenue par un sain exercice de la discipline, qui mettra en
lumière cette hypocrisie et fera croître l'ensemble du peuple de Dieu
dans la sainteté.
Mais au sein de cette Eglise, tous n'ont pas la même fonction. La
responsabilité de l'exercice de la discipline revient aux ministres
et aux anciens , leurs décisions étant ratifiées par l'Eglise.
En se référant au Nouveau Testament, Viret reconnaît que des termes
différents décrivent une même fonction, celle que nous désignons
couramment aujourd'hui par le terme de pasteur[24]
. En la personne du pasteur se trouve donc rassemblé un nombre important
de fonctions distinctes décrites par le Nouveau Testament. Lors de sa
consécration, il reçoit de l'Eglise - qui la détient du Seigneur - une
autorité de fonction, afin de pouvoir accomplir son ministère. Ainsi les
pasteurs
"ne se doivent pas attribuer plus de puissance ni d'autorité que
l'Eglise ne leur en a donnée et ne leur en peut donner. Et l'Eglise ne
leur peut donner d'avantage qu'elle n'en a reçu de son époux et de son
chef, duquel elle dépend du tout (totalement)"[25]
.
Par ce moyen, Viret établit un double mouvement qui vise à empêcher
toute forme de tyrannie malsaine. Le ministre possède l'autorité sur
l'Eglise, mais il la détient de l'Eglise, elle-même l'ayant reçue du
Christ. Si tel est le cas, aucun homme, pas même le pasteur, ne possède
une autorité telle qu'elle le dispense d'être lui aussi soumis à la
discipline ecclésiastique. C'est pourquoi Viret préconise une sorte d'autosurveillance
entre les pasteurs.
Le ministre est donc un serviteur consacré par l'Eglise et utilisé par
Dieu au sein de celle-ci. Il résume ainsi sa tâche:
"Toute la charge des ministres de l'Eglise ne consiste qu'en prières,
en administration de la doctrine et des sacrements et en discipline ecclésiastique."[26]
Bien que ces quatre tâches forment un tout indissociable, la brièveté
de cet article nous contraint à nous limiter à l'enseignement de la
doctrine et à la discipline ecclésiastique. Comme nous allons nous en
rendre compte, les deux sont étroitement liés. Bien souvent d'ailleurs,
l'enseignement privé, administré par le pasteur au domicile du
paroissien, s'entrelace avec les premières étapes de la discipline ecclésiastique.
Car il doit enseigner
(...) par pure doctrine, (mais aussi) par exhortations et admonitions,
prises de la Parole de Dieu, et quelquefois par correction et répréhensions,
quand la chose le requerra[27] .
Pour soutenir les pasteurs dans leur tâche disciplinaire, Viret leur
adjoint ce qu'il appelle des anciens. Ce sont des hommes qui ont pour
mission "d'aider à maintenir la discipline de l'Eglise, sans se mêler
de la prédication"[28] . Ce sont
les membres du Consistoire , choisis en fonction de leur prudence
et de leur vertu, bien souvent parmi les gens de la fonction publique.
Ce consistoire, composé de pasteurs et de laïcs, a pour but d'empêcher
la tyrannie du pasteur sur son Eglise et d'être représentatif de la
communauté de l'Eglise. Car
il est bon qu'il y ait aussi des autres personnes de l'Eglise, qui leur
soient adjointes pour donner à connaître que l'Eglise, au regard de la
police et de la discipline que Jésus-Christ y a mise, (...) n'est pas
comme une monarchie, ou quelque autre seigneurie temporelle, en laquelle
certains Princes ont toute pleine puissance: mais que c'est une franche
communauté qui pour cause est appelée la communion des saints, à
laquelle Jésus-Christ a donné en général et non pas à aucun en
particulier, toute la puissance et autorité, qui y est pour user en édification,
et non en destruction[29] .
IV. La pratique de la discipline
Il ne faut pas croire qu'avant l'établissement de la Réforme,
l'excommunication ait été inexistante. Elle se pratiquait, mais mal.
Ainsi dans son Exposition familière sur le Symbole des apostres ,
Viret dénonce un usage abusif de l'excommunication: "Comment peuvent
les évêques et les prêtres excommunier les serpents, les chenilles, les
souris, les sangsues, les anguilles et autres telles bêtes?"[30]
C'est dans un tel contexte qu'il lui fallait travailler à rétablir une
saine discipline ecclésiastique. Mais en quoi consiste-t-elle vraiment?
Avant d'aborder les différentes étapes de cette discipline, il est utile
de noter que Viret distingue entre différents "types" de péchés.
Il y a les péchés commis en connaissance de cause et ceux qui
proviennent de l'ignorance de ceux qui les pratiquent. Il y a les péchés
scandaleux et publics qui nécessitent une intervention publique et
rapide. Mais il y a aussi les péchés secrets pour lesquels il convient
de se fier à l'Esprit de Dieu qui applique la Parole au coeur des
croyants.
Cela permet de comprendre que Viret n'envisage pas la discipline comme un
simple code de lois rigide et uniforme dans lequel on trouve une sanction
en face de chaque péché. Non, ce qui compte avant tout, ce n'est pas la
punition, c'est de voir le pécheur se repentir et revenir de sa mauvaise
voie. Il faut donc veiller à faire usage des moyens les plus propices à
produire ce résultat.
Venons-en à la "gradation" du système disciplinaire que nous
pensons avoir découvert chez Viret. Il se compose de six étapes que nous
traiterons successivement bien que, dans la pratique et en fonction du
caractère de la faute, il était possible d'omettre certaines d'entre
elles.
i) La discipline personnelle
Viret croyait à l'importance de la prédication publique dans le
processus de sanctification. C'est pourquoi, dans ses prédications, il ne
se bornait pas à exposer l'Ecriture, mais il l'appliquait aux besoins spécifiques
de ses auditeurs. Il n'hésitait pas à joindre la Loi à l'Evangile car
(...) Il faut qu'ils (les ministres) fassent les procès d'un chacun par
leur prédication, leur remontrant par la Loy ce qu'ils ont mérité: et
puis qu'ils leur annoncent leur grâce, leur remontrant par l'Evangile le
salut qui leur est offert en Jésus-Christ. C'est cela que j'appelle
proprement lier et délier, pardonner et retenir les péchés (...)[31]
.
Ainsi c'est par le moyen de la Parole de Dieu fidèlement prêchée que le
ministre exerce la première étape de la discipline. Quand il proclame
fidèlement la Loi-Evangile, il lie ou délie, ouvre ou ferme l'accès au
royaume de Dieu à ses auditeurs en fonction de l'oeuvre que l'Esprit
accomplit dans leur coeur. Cette première étape est secrète, elle se
caractérise par la lutte personnelle intérieure pour résister aux
affections contraires à la volonté de Dieu, volonté exprimée au moyen
de la prédication.
ii) L'admonition privée
L'admonition privée s'allie à ce que nous avons appelé plus haut
"la prédication privée". Il peut arriver que, lors d'une
visite, le pasteur découvre un péché chez son fidèle. A ce moment-là,
il est de son devoir de recourir aux exhortations et admonitions afin de
convaincre son auditeur de péché. Mais cela doit se faire
par bon zèle de la gloire de Dieu, et par charité et amour (qu'il) porte
à la personne qui a failli, pour la retirer de son péché et la ramener
à Dieu, (mais) il faut bien qu'en ce faisant (il) lui remontre son péché,
et (qu(il) le nomme par son nom, sans déguiser les choses (...)[32]
.
Sur le pasteur repose la lourde responsabilité de discerner la nature du
péché, puis d'expliquer la Parole et, si nécessaire, d'adresser, en
guise de remède, une réprimande plus ou moins forte à la personne en
question.
Dans la mesure où le fidèle répond docilement à l'exhortation, la
discipline peut s'arrêter là, sinon elle devra suivre son cours et en
arriver à la troisième étape.
iii) L'admonition avec deux ou trois témoins
Avec cette étape, nous arrivons à un point de la pratique disciplinaire
de Viret qui nous est resté obscur. Il en parle à quelques reprises en
s'appuyant sur le texte de Matthieu 18:15-16, mais aucun biographe du Réformateur
ne fait allusion à la pratique de cette visite à plusieurs personnes au
domicile du discipliné.
Dès lors, faut-il penser que le Consistoire ait joué ce rôle des
"deux ou trois témoins"? Cela paraît improbable car, comme
nous l'avons vu, il est par définition une représentation de l'Eglise
assemblée.
Devant cette obscurité, il semble qu'il faille plutôt avancer l'hypothèse
que Viret, tourmenté et occupé par les nombreux péchés scandaleux
qu'il avait à reprendre, n'a guère eu l'occasion de pratiquer cette étape
de la discipline, pourtant bien présente à son esprit.
iv) Le Consistoire
C'est devant lui que devait être citée tout personne qui demeurait dans
sa rébellion. Par sa fonction représentative de l'Eglise, il permettait
que seules les personnes présumées les plus sages statuent sur le cas et
infligent la sanction adaptée à chaque situation.
Lorsque l'admonition du Consistoire portait ses fruits, on discerne un
autre avantage: celui de ne pas avoir fait connaître inutilement ce péché
à tous. Si, en revanche, le pécheur persistait dans son manque de
repentance et qu'une excommunication devait être prononcée, il était du
devoir et de la compétence du Consistoire de le faire. Mais, dans ce cas
particulier, Viret conseille à plusieurs reprises de faire ratifier et
approuver cette décision par l'Eglise rassemblée.
v) L'excommunication
Dans la pratique, comment Viret concevait-il l'excommunication? Le Réformateur
vaudois à laissé une littérature abondante sur le sujet.
Rappelons, tout d'abord, le caractère profondément spirituel de cette
sanction. Elle est un signe visible d'un jugement et d'un retranchement
invisible. Elle manifeste, dans l'Eglise locale, ce qui se produit dans la
sphère spirituelle de l'Eglise invisible, si le pécheur persévère dans
sa voie. Ainsi, être excommunié de l'Eglise locale, c'est être rejeté
du royaume de Dieu aussi longtemps qu'une attitude de repentance chrétienne
ne vient pas prouver le contraire. Car
l'excommunication n'est pas une vaine cérémonie (...), mais un certain témoignage
de Dieu, lequel il a ordonné, pour signifier et déclarer qui sont ceux,
lesquels il avait comme membres de son Eglise, ou qu'il tient comme
membres pourris, retranchés, rejetés d'icelle, et conséquemment du
royaume des cieux auquel nul ne peut entrer qu'il ne soit premièrement
vrai membre de l'Eglise, et par le moyen d'icelle[33]
.
La fin de cette citation nous rappelle un enseignement des Réformateurs
souvent oublié aujourd'hui: hors de l'Eglise, pas de salut. Cela ne veut
pas dire que les Réformateurs attribuaient à l'Eglise une oeuvre qui ne
revient qu'à Dieu seul, à savoir l'oeuvre du salut dans les coeurs. Mais
l'Eglise, sans avoir ce pouvoir régénérateur, n'en demeure pas moins la
représentation terrestre du peuple invisible de Dieu, ainsi celui qui est
retranché de l'Eglise locale à cause de son péché ne peut prétendre
être en communion avec Jésus-Christ qui en est l'époux.
Nous comprenons maintenant pourquoi Viret peut faire une équivalence de
sens entre les termes: excommunier, lier, livrer à Satan. Pour lui,
livrer à Satan traduit en clair ce que la première expression démontre
clairement: un rejet dans le royaume du diable.
"St Paul a usé de cette manière de parler, livrer à Satan, pour
excommunier, afin qu'un chacun puisse mieux entendre quel est l'état des
excommuniés, et combien cette censure et correction ecclésiastique est
à craindre, quand elle est légitime et exercée selon la Parole de
Dieu."[34]
Puisque l'excommunication était si grave, Viret prenait un soin
particulier à en exposer les conséquences en détail et à plusieurs
reprises aux personnes qui risquaient de l'encourir. En dernier recours,
ces personnes étaient nommées publiquement lors de trois cultes
dominicaux successifs afin que, saisies par sa gravité, elles reviennent
encore à Dieu.
Mais si, malgré toutes ces tentatives, elles demeuraient dans la rébellion,
la proclamation de l'excommunication était faite.
Par le soin, la patience et la prudence de Viret, nous voyons que
l'excommunication n'a rien d'un rejet hâtif en vue de se débarraser
d'une personne gênante. Le but recherché d'abord, c'est de ramener le frère.
C'est pourquoi aborder la question de la discipline ecclésiastique en
omettant de parler de réconciliation, c'est en oublier l'essentiel.
vi) La réconciliation
Pour Viret, la réconciliation avec Jésus-Christ passe obligatoirement
par une réconciliation avec son Eglise.
"Car nous ne pouvons avoir réconciliation avec Jésus-Christ le chef
d'icelle (de l'Eglise) que nous ne l'ayons aussi avec elle. Car il ne peut
être divisé ni séparé d'elle, ni elle de lui. Mais comme Jésus-Christ
son époux est miséricordieux, ainsi elle est miséricordieuse envers ses
enfants, (...)"[35] .
Ainsi, de même que l'Eglise a le devoir d'excommunier, elle est aussi
tenue d'accueillir celui qui manifeste les fruits d'une repentance sincère.
La portée spirituelle de la réconciliation est d'être reçu par le
Christ en son royaume. Tout comme pour l'excommunication, ce n'est pas
l'Eglise qui a le pouvoir, en elle-même, d'accorder le salut. Pourtant,
si elle s'appuie sur des critères bibliques pour discerner la réalité
de la repentance chez l'excommunié, sa tâche est efficace car elle agit
avec l'autorité qui lui a été déléguée par le Christ.
Tout comme pour l'excommunication, la réconciliation ne doit pas se faire
à la hâte. Viret souligne que le temps est un facteur déterminant pour
éprouver la sincérité du repentant. Il préconise même d'adjoindre,
parfois, une "peine" (une oeuvre non méritoire, mais réparatrice)
à la repentance pour permettre à toute l'Eglise de discerner
l'orientation nouvelle du repentant.
Dans la mesure où ces conditions sont satisfaites, la réconciliation
peut avoir lieu. Il ne s'agit pas d'une réintégration au sein du peuple
de Dieu par la "petite porte". Elle doit être aussi solennelle
que la cérémonie d'excommunication. Autant que possible, Viret préconise
de la faire un jour de cène afin d'en renforcer la symbolique.
C'est avec cette cérémonie magnifique à l'esprit que l'Eglise doit
envisager d'exercer courageusement la discipline ecclésiastique, en
comptant sur la fidélité de Dieu envers ses élus.
V. La pratique de la discipline au siècle de la tolérance
Y a-t-il quelque chose d'utile à glaner chez Viret pour l'Eglise du XXe
siècle? Nous le croyons. Comme cet article n'est pas le lieu d'une
analyse détaillée de la pensée de Viret, nous laisserons de côté nos
réserves et terminerons par quelques réflexions suscitées en nous par
le sujet qui nous a occupés.
a) Un amour vrai
La situation actuelle de l'Eglise est bien souvent celle du
sentimentalisme et du laxisme. En faisant de la tolérance et de la
"liberté" de l'homme la règle de toutes choses, on en est
arrivé à dénigrer, voire à condamner la discipline ecclésiastique et
ceux qui la pratiquent. Au nom de cet espèce d'amour, on préfère garder
le membre gangréné au sein du corps, au risque de mettre en péril le
corps dans son entier.
Mais que diriez-vous de l'amour témoigné à votre égard par un médecin
qui refuserait de vous amputer de votre bras gangréné à cause de
l'affection qu'il porte à ce membre malade?
Nous croyons que la difficulté actuelle à pratiquer la discipline ecclésiastique
trouve sa racine, dans une large mesure, dans un manque d'amour pour
l'Eglise de Jésus-Christ et pour le Dieu qui l'a sauvée. Ainsi la
pratique renouvelée de la discipline ecclésiastique passe par une redécouverte
du caractère de Dieu et de ses attributs. Il est le Dieu trois fois
saint, parfaitement juste, immuable. Ce Dieu intolérant envers le péché
et le pécheur rebelle, mais qui fait grâce à tous ceux qui viennent à
lui en Christ.
Dans sa grâce, ce Dieu saint, juste et bon, qui nous a sauvés, ne nous a
pas laissés seuls. Il nous rassemble en Eglises et nous donne par elles
tous les moyens de grâce dont nous avons besoin pour notre croissance en
conformité avec l'image de son Fils. Et l'un de ces moyens, c'est la
discipline ecclésiastique.
Apprenons à avoir une communion fraternelle profonde au sein de l'Eglise.
Une communion qui se manifeste par un amour vrai et dont le retranchement
soit une réelle privation. Ayons un amour qui ose reprendre le frère
dans le péché car, à la lumière de Matthieu 18:15, les premières étapes
de la discipline ecclésiastique ne doivent pas être la prérogative des
seuls pasteurs.
b) Un usage correct de la Parole de Dieu
Aujourd'ui dans l'Eglise, il y a de plus en plus de doute sur la capacité
de la Parole de Dieu à accomplir l'oeuvre de Dieu. La prédication
publique se raccourcit, la prédication privée se teinte de psychologie
et la Bible n'y est guère ouverte.
Pourtant, comme l'apôtre Paul l'enseigne à Timothée (2 Tm 3:16-17), la
Bible est l'instrument parfaitement adapté à la tâche pastorale. Si
elle est suffisante pour équiper parfaitement ce jeune serviteur de Dieu
dans une Eglise à problèmes, ne le sera-t-elle pas pour nous
aujourd'hui?
C'est la Parole de Dieu qui fait l'oeuvre de Dieu, tant dans la discipline
formative de la réponse personnelle à la prédication que dans la
discipline préventive et médicinale qui peut conduire à
l'excommunication. N'ayons aucune crainte et aucun doute.
* Prêchons courageusement tant la Loi que l'Evangile, car sans conviction
de péché, il n'y a pas d'Evangile.
* Apprenons à la connaître afin d'être à même de l'utiliser avec précision
dans les cas particuliers auxquels nous allons être confrontés lors des
entretiens privés.
C'est par un sain usage de cette Parole que nous montrerons si nous aimons
vraiment les brebis de notre troupeau.
c) Une notion juste de l'autorité
Aujourd'hui, en matière d'autorité, deux tendances nous écartèlent.
Celle du cléricalisme avec une classe de pasteurs presque intouchable, et
celle de l'anticléricalisme avec sa recherche du nivellement de toutes
les différences et de toutes les fonctions.
Par sa position sur la discipline, Viret prévient le cléricalisme
autoritaire en soulignant que tout homme est pécheur et qu'aucun d'entre
eux, pas même le pasteur, ne peut prétendre échapper au sain usage de
la discipline ecclésiastique. Elle n'est pas "l'arme du
pasteur" avec laquelle il pourfend ses ennemis personnels. Quand il
est convaincu de péché, il doit se soumettre à cette discipline lui
aussi et l'Eglise dans son ensemble doit se souvenir qu'elle a le devoir
de reprendre son pasteur quand il s'égare[36]
, voire de l'excommunier s'il persiste dans son péché.
A l'inverse, Viret ne laisse jamais croire que la prédication,
l'administration des sacrements et la discipline ecclésiastique peuvent
être pratiqués par n'importe quel membre de l'Eglise. Ce sont des actes
inséparables dont la responsabilité de l'administration a été confiée
à ceux que Dieu a donnés comme pasteurs enseignants à son Eglise (Ep
4:11).
Conclusion
Grâce à Pierre Viret, nous avons découvert que la discipline ecclésiastique
n'est pas une pratique périphérique à la vie de l'Eglise, dont elle
pourrait facilement se passer. Il est donc essentiel que nous prenions
conscience de son importance si nous voulons que nos Eglises restent de
vraies Eglises.
Mais la pratique de la discipline biblique n'est pas sans risque. Viret a
été banni de son pays pour cette raison. Pourtant, il a préféré le
bannissement à la capitulation, car il avait compris qu'il en allait de
l'honneur de son Seigneur et de la survie de l'Eglise de Jésus-Christ.
Actuellement, les risques sont différents, mais la question demeure la même:
allons-nous préférer notre confort, notre poste pastoral, l'image de
pasteur "dans le coup" à la fidélité aux enseignements
bibliques? Que dans sa grâce, le Seigneur nous donne de faire le bon
choix quoi qu'il en coûte.
* O. Favre est pasteur de l'Eglise évangélique baptiste de Lausanne.
En 1993, il a soutenu un mémoire de maîtrise à la Faculté de théologie
réformée d'Aix-en-Provence sur "La discipline ecclésiastique dans
la théologie du Réformateur Pierre Viret".
[1] Ph. Godet, Pierre Viret
(Lausanne: Payot, 1892), 63.
[2] Pour une étude approfondie de la théologie
de Viret, cf. le livre de G. Bavaud, Le Réformateur Pierre Viret,
sa théologie (Genève: Labor & Fides, 1986, coll. Histoire et
société), N°10.
[3] Cf. P. Viret, Disputations
chrestiennes... (Genève: Jean Girard, 1544), préface 7-9.
[4] Cité in Ph. Godet, Pierre
Viret , op. cit ., 65-66.
[5] H. Vuillemier, Notre Pierre Viret
(Lausanne: Payot, 1911), 237.
[6] Verdheiden, Praestantium aligot
theologorum effigies , cité in J. Cart, Pierre Viret, le Réformateur
vaudois (Lausanne: Librairie Ls Meyer, 1864), 129.
[7] L. Latourette, "Les dernières années
de Pierre Viret (1567-1571)", Revue de Théologie et de
Philosophie (Lausanne, 1938), 60-68.
[8] Dans son discours au Jubilé Viret de
1911, Jean Barnaud rappelle l'influence de Viret sur les masses populaires
en ces termes: "Nous ne saurions oublier que Viret est, par
excellence, l'écrivain populaire de la Réforme française: les
exemplaires déchirés, dépareillés, usés des nombreux ouvrages qu'il a
réussi à publier se trouvent dans maintes bibliothèques publiques et
privées de France, de Suisse et de l'étranger - il y en a jusque dans le
secret du Saint-Office de l'Inquisition de Séville -; ils disent ainsi la
popularité dont ils ont joui et l'influence lointaine qu'ils ont exercée."
In Le Jubilé de Pierre Viret (Lausanne-Orbe: Pache, 1911),
61.
[9] Cité in Ph. Godet, Pierre
Viret , op. cit ., 81.
[10] "J'étais seul lorsque, pour la
première fois, je posais en ce lieu la plante de mes pieds. La ville n'obéissait
pas encore aux ordres de Berne... Je ne dissimulais pas combien j'étais
insuffisant pour une tâche pareille... mais je me reposais sur
l'assistance du Seigneur qui m'avait assigné ce poste de combat."
Viret à Zébédée, avril 1549, Calvini opera XIII, 250, cité in
H. Vuillemier, Histoire de l'Eglise réformée du Pays de Vaud sous régime
bernois (Lausanne: Concorde, 1927, 4 vol.), vol. I, 121.
[11] Ph. Godet, Pierre Viret , op.
cit ., 63.
[12] Une "Classe" comprenait
l'ensemble des pasteurs d'un même territoire.
[13] Jacques Cart le souligne en ces
mots: "La discipline ecclésiastique était pour Viret une affaire
capitale; il la considérait comme d'une absolue nécessité pour une
Eglise à peine née..." J. Cart, Pierre Viret, le Réformateur
vaudois , op. cit ., 280.
[14] P. Viret, De la vertu et usage du
ministère de la Parole de Dieu et des sacrements dépendants d'icelle
(Genève: s. éd., 1548), 337.
[15] P. Viret, Instruction chrestienne
en la doctrine de la loi et de l'Evangile... (Genève: Jean Rivery,
1564), vol. I, 91.
[16] P. Viret, ibid ., vol. I, 91.
[17] " ...tu dois noter que
cette discipline est l'une des principales marques de la vraie
Eglise..." P. Viret, Instruction chrestienne... (Genève:
Conrad Badius, 1556), 21ss. Cité in Ch. Schnetzler, H. Vuillemier,
A. Schroeder, Pierre Viret d'après lui-même , 293.
[18] Cette citation est un bon exemple
des dialogues tels que Pierre Viret les écrivait. Ici, il met en scène
Pierre et Nathanaël. P. Viret, Instruction chrestienne... , op.
cit ., vol. II, 577-578.
[19] P. Viret, De la vertu et usage du
ministère de la Parole de Dieu et des sacrements... , op. cit
, 331.
[20] P. Viret, De l'Estat de la conférence,
de l'authorité, puissance... (Lyon: Senneton, 1565), 57-58.
[21] P. Viret, ibid ., 129.
[22] Ces dernières sont parfois aussi
appelées "la vraie Eglise" quand il s'agit d'Eglises locales
fidèles.
[23] Cela permet à Viret d'accepter
l'existence possible de chrétiens en dehors des Eglises réformées,
voire au sein de l'Eglise romaine.
[24] "Saint Paul appelle en des
autres lieux, maintenant Evêques, maintenant Prêtres, ceux lesquels il
appelle ici Pasteurs, sans mettre aucune différence entre les uns et les
autres: ... il appelle Evêque tous les Ministres de l'Eglise de Philippes
(Ph 1); et parce aussi qu'écrivant (sic) à Tite (Tt 1), il prend
le nom de Prêtre et Evêque, pour un même état et office. ... Il
appelle Evêques, tous ceux auxquels le ministère de la Parole est
commis..." P. Viret, De l'autorité et perfection de la doctrine
des saintes Ecritures..., op. cit ., 94.
[25] P. Viret, De l'Estat de la conférence,
de l'autorité, puissance... , op. cit., 71-72.
[26] P. Viret, ibid. , 131. Cf.
aussi J. Barnaud, Pierre Viret, sa vie et son oeuvre (Saint-Aans,
Tarn: G. Carayol, 1911), 494.
[27] P. Viret, Du vray ministère de
la vraye Eglise de Jésus-Christ... (Genève: Jean Revery, 1560), 6.
[28] P. Viret, Des actes des vrais
successeurs de Jésus-Christ et de ses apôtres... (Genève: s. éd.,
1554), 254, cité in J.-J. von Allmen, Le saint ministère selon
la conviction et la volonté des Réformés du XVIe siècle
(Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1968), 179.
[29] P. Viret, Instruction chrestienne...
(1564), vol. I, 85-86.
[30] P. Viret, Exposition familière
sur le Symbole des apostres... (Genève: Jacques Berthet, 1544 , 1560
), 333
[31] P. Viret, ibid. , 416-417.
[32] P. Viret, Réponse aux questions
proposées par Jean Ropitel... (Genève: Jean Bonnefoy, 1565), 150.
[33] P. Viret, Instruction chrestienne...
(1564), ibid., vol. I, 88. L'excommunication est "non seulement
privation des sacrements d'icelle (de l'Eglise), mais aussi de tous ses
biens spirituels, et de ce qu'elle a de commun et de participation avec
son chef Jésus-Christ. (...) Car il n'y a point de moyen ni d'entre-deux
ni de neutralité entre Dieu et le diable. Au moyen dequoy (sic) ,
celui qui est du royaume de l'un ne peut être du royaume de
l'autre." P. Viret, Response aux questions proposées par Jean
Ropitel... , ibid. , 126-127.
[34] P. Viret, ibid. , 74.
[35] P. Viret, De L'Estat de la conférence,
de l'authorité, puissance... , op. cit. , 126-127.
[36] Pour la procédure à suivre, voir 1
Tm 5:19-21.
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Pierre Viret
/ Instruction chrétienne ! - Oeuvres
complètes, vol. I
Théologie. Textes rassemblés par A.-L. Hofer.
ISBN 2-8251-1416-2. 800 p., 90.– (Ed. L'Age d'Homme)
Pierre Viret (1511-1571) est le grand réformateur
vaudois, et l’une des grandes figures de la Réforme en général.
Ecrivain de grand talent, il a laissé un monument de théologie, l’Instruction
chrétienne. Ce chef-d’oeuvre rassemblant toutes les idées et les
visions d’un grand courant spirituel, et les traduisant sous de
nombreuses formes (apologue, dialogue, récit) n’avait jamais été réédité
depuis 1564! Voici enfin le début d’une réédition nécessaire et
attendue, en dix volumes, par les soins du pasteur A. L. Hofer et de l’Association
Pierre Viret.
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