Abraham Kuyper (1837-1920) in the whole domain of our human existence over which Christ, who is Sovereign over all, does not cry: 'Mine!'"
De Pierre Courthial, dans "Le mouvement réformé de reconstruction chrétienne" Il est temps, maintenant, de parler d'Abraham Kuyper (1837-1920). Kuyper fit ses études de lettres et de théologie à l'Université de Leyde, lui aussi. En théologie, il reçut l'enseignement de modernistes déclarés et savants tels L.W. Rauwenhoff, historien de l'Eglise puis philosophe ; Abraham Kuenen, professeur d'Ancien Testament ; et surtout Joannes Henricus Scholten, dogmaticien de grande réputation dont l'autorité hélas ! n'était pas celle de la Sainte Ecriture. "Moi aussi", dira plus tard Kuyper, "j'ai rêvé le rêve du modernisme" -, et il versera des larmes d'amer regret et de honte au souvenir d'avoir, un jour, applaudi, avec ses camarades de cours, Rauwenhoff déclarant qu'il ne pouvait plus admettre, comme un fait historique, la résurrection du Christ. Le 20 septembre 1862, il obtint le grade de Docteur en théologie (summa cum laude) avec une thèse en latin : J. Calvini et J. a Lasci de Ecclesia sententiarum compositio ("Comparaison des doctrines sur l'Eglise de Jean Calvin et de Jean a Lasco").14 La première paroisse que servit Kuyper, comme pasteur, fut l'Eglise de Beesd, un petit village de Gelderland, à vingt-cinq kilomètres environ au sud d'Utrecht. Dans l'ensemble, les "fidèles" de cette Eglise se satisfaisaient du statu quo, celui d'une sorte d'orthodoxie sans puissance spirituelle et qui ne les faisait pas combattre pour la cause et les besoins du Règne de Dieu. Kuyper prêchait consciencieusement et, avec zèle, visitait les paroissiens. Il y avait cependant à Beesd quelques réformés confessants dont une jeune femme, Pietje Baltus, fille de paysans, dont la foi réformée était profonde et qui, pour cette raison, ne supportant pas les sermons des pasteurs d'alors, puisait ses forces spirituel les dans la méditation de la Bible, la lecture assidue des confessions de foi et celle des auteurs réformés d'autrefois. A une voisine qui lui annonçait que le nouveau pasteur visitait toute la paroisse et allait sûrement bientôt venir la voir, elle répliqua : "Je n'ai rien à en faire ! " ce à quoi la voisine ajoute : "N'oublie pas, Pietronella, que notre pasteur a, lui aussi, une âme immortelle et qu'il a, lui aussi, à se préparer à l'éternité." Aussi, quand Kuyper vint la visiter, Pietje Baltus osa fermement lui parler de Jésus-Christ et l'inviter à recevoir , lui aussi, ce salut. Peu à peu, selon l'élection souveraine de Dieu, le docteur en théologie de l'Université de Leyde se laissa "évangéliser" par Pietje, l'humble paysanne qui lui ouvrait les trésors de l'Ecriture Sainte et de la Foi re-formée. Il rompit décidément avec le modernisme, reprit, pour la faire sienne parce que biblique, la doctrine des confessions de foi, se rendit inconditionnellement au Dieu trinitaire et à Sa Parole, et devint pour toujours, à son tour,. un chrétien réformé ardent et confessant. Jamais Kuyper n'oublia Pietje Baltus, sa mère spirituelle en Christ. Et aujourd'hui encore, on peut voir, dans la "Kuyperhuis" à Amsterdam, sur le bureau de Kuyper, la photo de Pietje Baltus, photo qui ne quitta jamais, comme un rappel et un défi, le pasteur, le théologien, le journaliste, l'homme d'Etat, que fut Kuyper.15 Le 10 novembre 1867, en la Domkerk (l'Eglise cathédrale) d'Utrecht, Kuyper était "installé" comme pasteur. Sa prédication sur "La Parole est devenue chair et elle a habité parmi nous" Jn. 1:14), malgré quelques fausses notes encore hégéliennes, quelques "bavures" encore, était un appel en vue de la re-formation de l'Eglise réformée officielle : "Si nous devons entreprendre soit la restauration de l'Eglise, soit la fondation d'une nouvelle Eglise, nous sommes, en tout cas, appelés à construire, que ce soit selon l'ancien plan ou que ce soit selon le style plus pur et le projet architectural plus élevé que l'Esprit de Dieu nous fera connaître". A cette époque, une fois par an, toute Eglise locale était "visitée", "inspectée", par des représentants de l'Eglise nationale. Mais la chose était devenue une routine et en fait, deux années sur trois, se passait par questionnaires, sans vraie visite "spirituelle". Sur la proposition de Kuyper, le plus jeune des pasteurs d'Utrecht, ceux-ci décidèrent, le 15 avril 1868, de renvoyer les questionnaires sans répondre à une seule question puisque "les questions étaient posées au nom d'un Synode avec lequel les pasteurs n'avaient pas communion de foi et de confession". Le Synode officiel ne broncha pas. Mais le fait était passé si peu inaperçu que, pour couper court aux folles rumeurs qui commençaient à circuler, Kuyper dut faire paraître, en août, une brochure : La visite d'Eglise à Utrecht en 1868, considérée historiquement dans la vision de la condition critique de notre Eglise. Kuyper était vraiment entré dans le grand combat spirituel pour la reconstruction chrétienne, combat qu'il poursuivra inlassablement jusqu'à sa mort. Journaliste remarquable par le caractère tout à la fois clair, vigoureux, populaire et profond de son style, il occupera deux tribunes dont l'importance ira croissant : celle de l'hebdomadaire De Heraut et celle du quotidien De Standaard. Peu après sa conférence "Appel à la conscience nationale", il publiera, le 8 octobre 1869, son premier article dans De Heraut, dont il deviendra, moins d'un an après, le rédacteur -en -chef. Le peuple réformé des Pays-Bas trouvera chaque semaine, dans ce périodique, des éditoriaux, des méditations, des études bibliques, des exposés de la Foi, des considérations sur la situation des Eglises, signés par Kuyper, qui lui procureront une nourriture solide, et dont beaucoup seront publiés en volumes (par exemple : L'uvre du Saint-Esprit16 - articles publiés par De Heraut, du 2 septembre 1883 au 4 juillet 1886 ; trois volumes publiés en 1888 et 1889 - et encore : Le miel du Rocher et Jours de joyeuses nouvelles - articles, puis recueils, de méditations). Le 1er avril 1872 parut le premier numéro d'un quotidien De Standaard, que dirigera longtemps Kuyper et qui sera l'organe du Parti anti-révolutionnaire (ce Parti, fondé par Groen Van Prinsterer, ne deviendra un Parti vraiment organisé qu'à partir de sa première convention nationale tenue le jeudi 3 avril 1879). Homme d'Eglise, Kuyper, après avoir été pasteur de l'Eglise réformée officielle à Beesd, puis à Utrecht, le sera à Amsterdam de 1870 à 1874. Ses prédications de la vivante Parole de Dieu allaient réveiller tout un peuple de Dieu aux Pays-Bas, car, souvent imprimées après avoir été dites, elles atteignirent les Provinces de tout le Royaume. Devenu homme d'Etat à partir de 1874, Kuyper demanda et obtint de n'être plus que pasteur émérite. Mais il ne cessa pas pour autant, en tant qu'"ancien" ou que fidèle, de prendre une part active à la vie ecclésiale. Alors que le modernisme sévissait dans l'Eglise officielle, le consistoire d'Amsterdam, dont Kuyper était membre au titre d'ancien, prit l'initiative, en 1883, de demander que nul ne puisse être admis au saint Ministère s'il ne pouvait signer cordialement les trois Formes d'Unité17. La même année, et sur la même lancée, Kuyper publia un volume manifeste de 204 pages sur "La Reformation des Eglises" (c'était alors le 4001 anniversaire de la naissance de Luther). Toute re-formation de l'Eglise réformée officielle (où en était le semper reformanda ?!) se heurtant à l'appareil moderniste en place, 200 Eglises environ quittèrent, en 1886, leur dénomination dont Kuyper et ses amis venaient d'être exclus. Elles réunirent un premier synode en 1890. Puis, en 1892, ces Eglises réformées, au nombre alors de 300 environ, se réunirent aux Eglises chrétiennes réformées (séparées, elles, de l'Eglise officielle depuis 1834), au nombre alors de 400 environ, pour former "les Eglises réformées aux Pays-Bas". Théologien, Kuyper est, entre autres, l'auteur de deux ouvrages importants ; un ouvrage savant, en trois volumes : Encyclopaedie der Heilige Godgeleerdheid ("Encyclopédie de la sainte théologie")18 qui définit la nature de la science théologique, sa place dans l'organisme des sciences, et les différentes disciplines qui la composent ; et un ouvrage plus populaire, en quatre volumes : E Voto Dordraceno, qui est une exposition du Catéchisme de Heidelberg. Homme d'Etat, Kuyper devint député pour la première fois en mars 1874. Il devait être Premier Ministre des Pays-Bas pendant quatre ans, de 190 1 à 1905. Trois grandes questions ont passionné Kuyper homme politique : la question de l'enseignement, la question coloniale et la question sociale. La question de l'enseignement. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement : en ce qui concerne l'éducation des enfants, le droit prioritaire des parents contre l'absolutisme de l'Etat ; en ce qui concerne l'enseignement tant primaire ou secondaire que supérieur, le droit à la liberté de l'enseignement contre le monopole de l'enseignement d'Etat. La grande affaire de Kuyper, dans le domaine de l'enseignement, fut l'établissement de l'Université libre d'Amsterdam. En 1878, les Pays-Bas, avec une population de quatre millions d'habitants, comptaient trois Universités d'Etat (Leyde, Groningue et Utrecht) dont les humanistes, les rationalistes et les modernistes étaient pratiquement les maîtres. Le 5 décembre une "Société pour un Enseignement supérieur sur le fondement des principes réformés" fut établie à Utrecht. Le 7 novembre 1879, par un acte de foi remarquable, A. Kuyper et F.L. Rutgers furent nommés professeur à la Faculté de théologie d'une Université qui n'existait pas encore ! En fait, ils préparèrent activement ce qui suivit. Le 19 octobre 1880, en l'Eglise cathédrale d'Amsterdam fut célébré un service de prière au cours duquel Ph. J. Hoedemaker donna une prédication sur 1 Samuel 13:19 : "On ne trouvait pas de forgerons dans tout le pays d'Israël car les Philistins avaient dit : Empêchons les Hébreux de fabriquer des épées ou des lances". Et le lendemain, 20 octobre 1880, ce fut le plus beau jour de la vie d'Abraham Kuyper : l'Université libre d'Amsterdam était inaugurée... avec cinq professeurs : Kuyper, Rutgers et Hoedemaker pour la théologie ; D. Fabius pour le Droit ; et F.W.J. Dilloo pour les Lettres. Quarante hommes et femmes faisaient don à la nouvelle Université du capital, nécessaire selon la Loi, pour démarrer. En 1905, Kuyper, Premier Ministre, devait faire voter la loi qui allait assurer aux Pays-Bas une liberté vraiment plurielle de l'enseignement, l'ouverture de l'enseignement d'Etat à certains cours libres, la possibilité d'étendre tout enseignement supérieur d'Etat à des domaines autres que ceux des Lettres, des Sciences, du Droit et de la Médecine (d'où l'Université technologique de Delft et, bien plus tard, l'Université d'agriculture de Wageningen et les Universités de commerce de Rotterdam et de Tilburg). La question coloniale. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement le droit des peuples colonisés (dans le cas particulier : celui des Indes orientales néerlandaises) à n'être pas exploités, que ce soit par la nation colonisatrice ou par des personnes morales ou physiques, et à recouvrer progressivement leur indépendance. Kuyper et ses amis uvrèrent pour que les écoles et hôpitaux soient multipliés dans les colonies, pour que des cadres y soient formés, pour que soit mis fin au trafic de l'opium, pour qu'il y ait une administration équitable de la justice, pour que soit préparée la future indépendance par une organisation de conseils locaux et régionaux. La question sociale. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement le droit des travailleurs à leur pleine dignité d'hommes. Il cherchera à éviter, dans les lois qu'il proposera et fera voter, le Scylla du laisser-faire et le Charybde de l'étatisme, en assurant le minimum d'interférence gouvernementale et le maximum d'initiatives et de participation des corps intermédiaires et des travailleurs. Les prises de position de Kuyper contre la politique sociale libérale du libre-échange et du laisser faire provoquèrent l'opposition des libéraux qui l'accusèrent de jouer avec le feu et d'être un démagogue. Et Kuyper déchaîna un véritable tumulte, le 28 novembre 1874, quand il ouvrit sa Bible de poche devant la Seconde Chambre pour lire Jacques 5 : 1 et ss. : "Et maintenant, à vous, riches ! Pleurez et gémissez à cause des malheurs qui viendront sur vous..." En 1891, Kuyper ouvrit le Premier congrès social chrétien, par une conférence sur "Le Christianisme et la lutte des classes". Citant Eccl. 4:1 ; Jac. 5:1-4 ; 1 Tim. 6: 10, il déclara : "La question sociale est devenue LA question, la question vitale brûlante à la fin du XIXe siècle", et il s'en prit à l'esprit bourgeois de la Révolution française. Dans cette même conférence, Kuyper souligne cinq points : a) Dieu étant le Créateur du ciel et de la terre, il nous faut écouter et suivre les lois qu'Il a établies pour la Société terrestre ; b) l'Etat n'est pas la seule sphère sociale établie par Dieu ; les autres sphères sociales (familiale, professionnelle, ecclésiastique, etc ... ) doivent être reconnues elles aussi ; c) l'humanité étant "d'un seul sang", l'interdépendance et les inter-relations sociales doivent aussi être reconnues ; d) toute propriété est à Dieu ; les hommes ne sont jamais que les "gérants" de ce qu'ils "possèdent" ; l'usage "responsable" de toute "propriété" privée ou publique est une devoir chrétien ; e) la fonction divine du gouvernement est de promouvoir la justice ; quand une injustice apparaît dans la vie sociale, il est de la responsabilité de l'Etat d'intervenir par des lois effectives. Et Kuyper de conclure... "la question fondamentale de tout le problème social est de savoir si les moins fortunés, si les plus pauvres, sont non seulement des créatures en situation misérable mais, pour l'amour du Christ, des frères de votre propre chair et de votre propre sang", ajoutant : -Il n'y a pas de place (dans le Parti anti-révolutionnaire) pour ceux qui voudraient rejoindre nos rangs pour mettre leur portefeuille à l'abri. Car nous sommes sur une terre sainte et quiconque veut marcher sur elle doit d'abord quitter les sandales de son égoïsme". Quand il fut Premier Ministre, et bien que son gouvernement fût un gouvernement de coalition ne lui laissant pas les coudées franches, Kuyper fit adopter une législation sociale assurant la protection des femmes et des jeunes travaillant dans l'industrie, établissant pour tous les Néerlandais un système d'assurances contre la maladie, l'incapacité et la vieillesse, législation alors à la pointe du progrès nécessaire dans les pays occidentaux. ___ 14 Jean Laski ou a Lasco est un Réformateur polonais, disciplie d'Erasme et de Zwingle, qui, entre autres, correspondit avec Martin Bucer sur l'Eucharistie, et dressa, à Londres, vers 1550, une Eglise réformée pour les étrangers. 15 Pietje Baltus suivit dans l'intercession toute la carrière de son fils spirituel. Elle mourut le 26 mars 1914, à l'âge de 83 ans. 16 Het Werk des Heiligen Geestes, traduit en anglais et publié avec une introduction de Benjamin B. Warfield (Funk and Wagnalls Company, 1900). 17 Les trois Formes d'Unité des Eglises réformées aux Pays-Bas sont : a) la Confessio Belgica, composée par Guy de Brès, et revue par Saravia, approuvée par le Synode Wallon et Flamand d'Embden, en 1571 (édition française de "Je Sers", 1934, à la suite de "Le Catéchisme de Jean Calvin") ; b) le Catéchisme de Heidelberg, de 1563 (édition française de "Delachaux et Niestlé", 1963) ; c) les Canons de Dordrecht, de 16 18-1619 (publiés en français par "La Revue réformée"). 18 Traduction anglaise de l'essentiel (l'introduction et le Volume 11) sous le titre "Principles of Sacred Theology" avec une Introduction de Benjamin B. Warfield (Eerdmans, 1954).
Abraham Kuyper http://www.redeemer.on.ca/academics/polisci/kuyper.html Abraham Kuyper was an extraordinary figure uniquely capable of wearing several hats throughout his long public career as pastor, theologian, scholar, journalist, educator and statesman. Although he began in the parish ministry, he moved on to become editor of two periodicals; to found the Antirevolutionary Party, the first Dutch political party and the first Christian Democratic party in the world; and to establish the Free University, a Christian university established on Reformed principles. He was first elected to the Second Chamber of the Dutch Parliament in 1874 and eventually served as Prime Minister from 1901 to 1905. Kuyper's thought was introduced to North America in 1898, when he delivered the Stone Lectures at Princeton Seminary. Although Kuyper was not an academic political theorist, he nevertheless laid the foundations for a highly original approach to politics that would come to be labelled "Kuyperian." Its originality consisted in the fact that he sought to articulate a consistently Christian view of the place of politics in God's world free from the distortions of various nonchristian ideologies. The most characteristic feature of Kuyper's political thought is the principle of soevereiniteit in eigen kring, usually referred to in English as "sovereignty in its own sphere," "sovereignty in its proper orbit," or simply "sphere sovereignty." Sphere sovereignty implies three things: (1) ultimate sovereignty belongs to God alone; (2) all earthly sovereignties are subordinate to and derivative from God's sovereignty; and (3) there is no mediating earthly sovereignty from which others are derivative. Current efforts at rehabilitating what is often called "civil society" owe something to this principle. Kuyper's ideas were further developed by Herman Dooyeweerd and others in the twentieth century.
Six Lectures Delivered at Princeton University, 1898 under the auspices of the L. P. Stone Foundation
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